Tantrisme ou pseudo-tantrisme ?
Le
Tantrisme est vraiment à la mode. Il reste neutre face à l’affrontement des
représentants modernes des traditions du Livre. De très nombreux sites sur
internet lui sont dédiés. Et la revue Cahiers
de l’Unité lui offre ainsi une place de choix.
M.
Marc Brion qui se présente comme très informé des secrets les plus secrets
puisqu’il sait tout de la génération
spirituelle de René Guénon…(https://www.cahiersdelunite.com/generation-spirituelle-guenon), même si ce dernier n’a jamais rien
indiqué à la différence de Râmana Maharshi notamment, nous livre dans le numéro
3 des Cahiers de l’Unité le secret
des « Cinq Makâras ».
Cette
revue recrute des auteurs extrêmement compétents, capables de donner les
« expressions + régulières + de la conscience + de l’unité + essentielle
de + toutes + les formes
traditionnelles ». Et ses auteurs « sont capables de comprendre les
principes métaphysiques et d’en tirer les conséquences ». On attend donc
de M. Brion quelque chose de particulièrement brillant comme son nom (ou son
pseudonyme ?) nous le laisserait entendre.
Nous
allons donc parcourir son article et oser le commenter.
La
note 1 nous apprend que la description complète de ce rite tantrique n’existe pas en raison de son caractère
secret. On ne comprend pas alors si M. Brion va nous révéler ce secret ou au
contraire entériner le fait qu’il est secret et donc qu’il n’a pas grand-chose,
sinon rien, à en dire.
Dans
sa simple traduction du titre, M. Brion n’est déjà pas très clair. Pancha-Makâras signifierait « Cinq
M » [cela fait un peu penser au nom d’un groupe de rap «5 M » ou au « Chanteur M »]. Pancha correspond bien au nombre cinq mais Makâra ne peut pas être simplement traduit par « M ».
Dans son analyse, M. Brion mentionne « kara »
et non « kâra » et de plus
il le traduit par « faire » ce qui est erroné. C’est la racine KRi (K et r voyelle) qui correspond au
verbe « faire », « kara » tout comme « kâra » ne
sont que des dérivations, signifiant respectivement « ce qui fait » et « ce qui
est la nature de ce qui fait = l’acte ». M. Brion n’a pas bien relu son
texte puisqu’il oublie la voyelle longue (et donc l’accent circonflexe). Il
parle ainsi de Ma-kara et non de Ma-kâra. Il s’agit donc des cinq rites
par le son Ma (il n’y a pas vraiment
de lettres en sanscrit mais uniquement des syllabes, la voyelle
« a » pouvant être modulée vers une autre voyelle).
M.
Brion nous explique alors que cette pratique rituelle consiste à consommer pour
les initiés de la viande, du poisson, du vin, des céréales grillées et à
pratiquer l’union sexuelle. Hyper cool donc… Dans une note, M. Brion fait une
longue citation (souligné par nous) :
« Voici
comment une autre modalité, bien connue au demeurant et généralement désignée
comme dakshinâchâra, a été évoquée oralement, en 1994, par une tantrika de
Bakreshwar, au Bengale-Occidental : Les tantrikas « méditent sur
les pañchamakâras, lesquels ont beaucoup de significations secrètes. Par
exemple, madya n’est pas le vin, mais plutôt une [technique] spéciale de
respiration (prânâyâma) qui emplit de puissance. Mâmsa (viande)
signifie “silence”, c’est-à-dire le contrôle de la parole, tandis que matsya
(poisson) représente le déroulement de l’énergie de la kundalinî qui
ressemble à un poisson quand elle est éveillée (jagrata) […] Maithuna
[acte sexuel] est la montée et la descente de la kundalinî dans la
colonne vertébrale, lesquelles unissent les côtés droit et gauche, les moitiés
masculine et féminine de la personne. Mûdra [céréales]
désigne la transe [le samâdhi ou « enstase »] spontanée lorsque
l’Esprit universel [le « Suprême Soi »] (Paramâtmâ) et l’“âme
vivante” (jîvâtmâ) sont unis. Les relations des différents doigts de la
main, auxquels la plupart des gens pensent quand il est question de mûdras,
représentent en réalité ces rapports à un degré plus profond. Par exemple, le
pouce représente l’Esprit universel [le « Suprême Soi »] et l’index
correspond au “moi individuel” ; le mudrâ lors duquel ils se
touchent représente leur union. Le troisième doigt [le médius] est Shaktî,
le quatrième est Shiva et le cinquième est Dakini ou Yoginî.
Les mudrâs surviennent spontanément lorsque les gens sont en transe [en samâdhi] ». »
S’agit-il
du fameux secret qui nous est révélé par cette tantrika bengalaise ?
Non, mais un simple jeu de correspondances, certaines un peu douteuses,
que l’on pourrait multiplier indéfiniment sans rien dire sur le fond ni
parvenir à bien grand-chose.
M. Brion va alors nous
distiller de longues citations de l’œuvre de René Guénon. Il explique ainsi ce
qu’est un rite, un symbole, etc. Puis il va dénoncer les erreurs modernes
concernant le tantrisme avec toujours de longues citations de l’œuvre de René
Guénon.
Il en vient à écrire
ceci:
« Le rite
des « Cinq M » est une méthode de réalisation qui relève des
applications « techniques » de la doctrine dans sa dimension
ésotérique. Il entre d’autant moins en conflit avec la smriti qu’il est
normalement strictement secret. »
Puis en note (souligné
par nous) :
« À notre époque, en Inde, sous la pression et les menaces de
l’exotérisme, de sa variante déviée de caractère politico-idéologique
puritaine, de l’influence occidentale ou des « clubs communistes contre la
superstition », les doctrines et
les méthodes du véritable Tantrisme ne sont pas secrètes désormais, comme ce
fut toujours plus ou moins le cas, mais extrêmement secrètes. »
Logiquement, M. Brion
ne devrait plus pouvoir nous dire quoi que ce soit sauf à nous parler du
pseudo-tantrisme, le seul que l’on connaisse aujourd’hui. Mais pourtant il
poursuit, on peut ainsi lire un peu plus loin (souligné par nous) :
« Certains ont
voulu expliquer le rituel des « Cinq Makâras » par la
nécessité de dépasser l’attachement à des formes extérieures ou pour
« transcender le pur et l’impur », mais ces aspects ne peuvent avoir
qu’un rôle subsidiaire puisque les rites ésotériques ne sont pas dépendants de
l’exotérisme. Comme nous l’avons vu, le rite relevant exclusivement du domaine
initiatique, la transgression ne peut être qu’apparente. Évidemment, nous ne
parlons pas des déviations ou des parodies du rite qui, elles, sont
transgressives puisqu’elles relèvent du domaine de l’erreur. Si la
« transgression », envisagée à des fins spirituelles, était la raison
d’être de ce rite, toutes ses composantes seraient interdites par les lois qui
régissent le domaine exotérique, or ce n’est pas le cas. Ainsi, la consommation
de céréales (mudrâ) n’a strictement rien de transgressif pour aucun des
membres de la tradition hindoue. Pour la viande (mâmsa) et le poisson (matsya),
la question est beaucoup moins tranchée et plus complexe qu’on ne le croit en
général, mais ce caractère est également inexistant pour une partie des membres de la tradition hindoue admis à l’initiation,
ne serait-ce notamment que pour les shûdras
et les chândâlas, et
aussi pour les mlecchas, même
si ceux-ci ne furent jamais qu’une minorité. En tout cas, on peut remarquer
qu’il n’a un tel caractère que pour les hindous smârtas (qui suivent
strictement la smriti). »
On peut se demander si
M. Brion sait de quoi il parle et de qui. Ainsi moins on est qualifié et plus
on est apte à suivre la voie tantrique, très adaptée donc aux basses castes,
aux hors castes et aux étrangers à la tradition hindoue. On croirait entendre
le discours d’un évangéliste qui vous promet le Paradis pour tous et sans
effort. Nous avons affaire à une sorte de tantrisme pour les nuls tout à fait
en accord avec la grande illusion propre à la fin du Kali-Yuga.
M. Brion comme la
tantrika du Bengale paraît apprécier lui aussi les correspondances improbables
comme par exemple à propos des « Trois M » (Tri-Ma), Mâmsa,
Madya et Maithuna. Il indique en note :
« La réduction des
cinq offrandes (upachâra) à trois, qui sont les plus importantes, est à
mettre en correspondance avec les trois mondes : sensible, subtil et
spirituel. »
Puis un peu plus loin,
avec une assurance totale, il dépose toutes ces correspondances d’une
traite :
« Les « Cinq M » correspondent
ainsi aux cinq sens et aux cinq Éléments : Mudra, céréale, au sens
de l’odorat et à l’élément Terre ; Matsya, le poisson, au goût et à
l’élément Eau ; Madya, le vin, à la vue et au Feu ; Mâmsa,
la viande, au toucher et à l’Air ; Maithuna au sens de l’ouïe et à
l’Éther. Le rite des « Cinq Makâras » représente en réalité un
processus de résorption des différents éléments constitutifs de la
manifestation individuelle dans leur principe. Il offre ainsi la possibilité de
sortir des conditions individuelles en s’affranchissant des déterminations
particulières et limitatives (upâdhi) de l’existence corporelle, qui
sont regardés comme autant de liens. Loin d’encourager ou de promouvoir ce dont
les profanes l’accusent, à savoir un prétexte à des comportements hédonistes et
licencieux ou à une exacerbation déréglée des sens, le Tantrisme, avec le rite
initiatique des Pañcha-Makâras, vise au contraire à la disparition
ordonnée de toute « sensualité ». »
Et ainsi nous avons
droit à sa note 48 en rapport avec les conditions individuelles (souligné par
nous) :
« À partir des doctrines
hindoues, René Guénon a établi les correspondances existant entre les
cinq éléments et les cinq sens dans « Kundalinî-Yoga » et dans « La théorie
hindoue des cinq éléments » : à la Terre correspond l’odorat ; à l’Eau, le goût
; au Feu, la vue ; à l’Air, le toucher et à l’Éther, l’ouïe. Il a également mis
les éléments et les sens en correspondance avec les cinq conditions de
l’existence corporelle : l’espace, le temps, la matière (dont le nombre
est le véritable fondement), la forme et la vie; ce que Palingénius réunit
en une seule définition en disant qu’un corps est « une forme matérielle vivant
dans le temps et dans l’espace » (« Les conditions de l’existence
corporelle », La Gnose, 1912, p. 10). Dans ce texte, il a
établi que le temps correspond à l’Éther et au sens de l’ouïe, l’espace étant
en correspondance avec l’Air et au sens du toucher (Sur le rôle du sens du
toucher dans le Tantrisme, cf. Ernst Fürlinger, The Touch
of Śakti. A Study in Non-dualistic Trika Śaivism of Kashmir, New
Delhi, 2009). La publication de la revue La Gnose ayant été
interrompue, la suite de son étude n’a pas été publiée, ni sans doute rédigée. Il n’a donc pas donné les autres
correspondances. On pourrait néanmoins considérer que la forme correspond
au Feu et à la vue, la vie à l’Eau et au goût, et le nombre (ou la
matière) à la Terre et à l’odorat. Cependant, d’après quelques notes de Guénon
remontant à fin 1910 - début 1911, mais auxquelles on ne peut toutefois
pas donner un caractère définitif en raison de leur nature apparemment « provisoire »,
et qui figurent dans un document aimablement communiqué par M.
Brecq intitulé : « Les conditions de l’existence corporelle.
Correspondances avec les sens et les éléments », la matière (ou le nombre)
correspondrait à l’Eau et au goût, et la vie à la Terre et à l’odorat. Quoi qu’il en soit, ces cinq
conditions sont celles dont l’ensemble définit l’existence corporelle, qui est
naturellement prise comme point de départ pour la réalisation aboutissant à la
Délivrance. Celle-ci implique que l’être est libéré du temps, de l’espace, du
nombre (qui est la base de la « matière
»), de la forme et de la vie (même si cette Délivrance est accomplie « dans
la vie »). »
M. Brion fait ainsi passer René Guénon pour
un parfait idiot, pour un auteur qui ne sait pas ce qu’il veut et doit
écrire, qui patauge. On ne peut pas être plus méprisant. Ainsi avec l’amabilité
extrêmement suspecte de M. Brecq, Marc Brion cherche à porter un rude coup à la
crédibilité de l’œuvre de René Guénon.
D’après lui il n’y a que pour René Guénon que ce n’est pas
évident. D’après lui donc René Guénon n’y comprend rien. René Guénon n’étant
plus là pour le remettre à sa place, alors M. Brion, à qui on ne demande rien,
s’autorise à pérorer. Et puis il a eu connaissance de ce document manuscrit top
secret : « Les
conditions de l’existence corporelle. Correspondances avec les sens et les
éléments » détenu par M. Brecq et alors René Guénon n’est plus qu’un jouet
qu’on manipule. Attitude répugnante qui sent le soufre. M. Brion déclare :
« quoiqu’il en soit », en gros il s’en moque complètement de ce que
peut bien écrire René Guénon. Mais alors pourquoi écrire cette note, puisqu’il
ne sait rien. Dans un cas comme cela, on
se tait. Mais non, M. Brion se gargarise avec cette orgie tantrique de
citations de l’œuvre de René Guénon, pour lui il n’est qu’un faire-valoir, mais
sur le fond il se moque complètement de cette œuvre.
Ainsi
René Guénon qui avait établi cette liste avec toute l’étendu de sa Connaissance
n’aurait pas su lui-même à quoi elle pouvait bien correspondre. Cette liste
n’est pas le fruit d’une traduction de termes orientaux. Cette liste a été
élaborée avec des termes en français et seulement en français. Chaque terme a
été minutieusement choisi par René Guénon et par lui seul.
Et
c’est M. Brecq qui a donné tous les éléments utiles à cette déstabilisation
mémorable. M. Brecq qui passe son temps à s’auto-décerner toutes les
imprimaturs, qui déclare agir avec toutes les autorisations officielles, qui
est le plus « traditionnel » parmi les représentants de la tradition.
M. Brecq, qui doit tout à René Guénon, ne trouve rien de mieux à faire que
cette ânerie pour le remercier. L’âne qui porte des reliques. On l’a vu faire
cette déclaration (Cahiers de l’Unité, n°3 https://www.cahiersdelunite.com/postface-orient-occident, note
19) :
« Puisque
l’occasion nous est donnée, nous nous permettrons d’ajouter que plusieurs
auteurs, alors qu’ils rédigeaient telle ou telle de leurs études, nous ont
sollicité pour savoir si René Guénon avait écrit sur certains sujets précis en
dehors de ses ouvrages. Dans la mesure
où leurs travaux présentaient les garanties d’orthodoxie traditionnelle, nous
avons toujours répondu favorablement aux demandes qui nous ont été faites.
C’est ce qui explique que l’on trouve dans leurs livres ou articles des
passages de Guénon provenant de notre
fonds de textes inédits.
Mais
quand va-t-il cesser ce petit jeu funeste, cette singerie. M. Brion
présente-t-il vraiment toutes les garanties d’orthodoxie traditionnelle ?
Et M. Brecq peut-il en être juge ? Quand enfin prendra-t-il conscience
qu’il serait temps de faire quelque chose d’honnête et de sensé avec SON fonds
de manuscrits ? Quand prendra-t-il conscience qu’il n’est pas René Guénon
et qu’il n’en a certainement pas l’autorité ?
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