jeudi 1 novembre 2018

Tantrisme ou pseudo-tantrisme ?


Tantrisme ou pseudo-tantrisme ?


Le Tantrisme est vraiment à la mode. Il reste neutre face à l’affrontement des représentants modernes des traditions du Livre. De très nombreux sites sur internet lui sont dédiés. Et la revue Cahiers de l’Unité lui offre ainsi une place de choix.

M. Marc Brion qui se présente comme très informé des secrets les plus secrets puisqu’il sait tout de la génération spirituelle de René Guénon…(https://www.cahiersdelunite.com/generation-spirituelle-guenon), même si ce dernier n’a jamais rien indiqué à la différence de Râmana Maharshi notamment, nous livre dans le numéro 3 des Cahiers de l’Unité le secret des « Cinq Makâras ».


Cette revue recrute des auteurs extrêmement compétents, capables de donner les « expressions + régulières + de la conscience + de l’unité + essentielle de + toutes +  les formes traditionnelles ». Et ses auteurs « sont capables de comprendre les principes métaphysiques et d’en tirer les conséquences ». On attend donc de M. Brion quelque chose de particulièrement brillant comme son nom (ou son pseudonyme ?) nous le laisserait entendre.

Nous allons donc parcourir son article et oser le commenter.

La note 1 nous apprend que la description complète de ce rite tantrique  n’existe pas en raison de son caractère secret. On ne comprend pas alors si M. Brion va nous révéler ce secret ou au contraire entériner le fait qu’il est secret et donc qu’il n’a pas grand-chose, sinon rien, à en dire.

Dans sa simple traduction du titre, M. Brion n’est déjà pas très clair. Pancha-Makâras signifierait « Cinq M » [cela fait un peu penser au nom d’un groupe de rap «5 M » ou au « Chanteur M »]. Pancha correspond bien au nombre cinq mais Makâra ne peut pas être simplement traduit par « M ». Dans son analyse, M. Brion mentionne « kara » et non « kâra » et de plus il le traduit par « faire » ce qui est erroné. C’est la racine KRi (K et r voyelle) qui correspond au verbe « faire », « kara » tout comme « kâra » ne sont que des dérivations, signifiant respectivement  « ce qui fait » et « ce qui est la nature de ce qui fait = l’acte ». M. Brion n’a pas bien relu son texte puisqu’il oublie la voyelle longue (et donc l’accent circonflexe). Il parle ainsi de Ma-kara et non de Ma-kâra. Il s’agit donc des cinq rites par le son Ma (il n’y a pas vraiment de lettres en sanscrit mais uniquement des syllabes, la voyelle  « a » pouvant être modulée vers une autre voyelle).

M. Brion nous explique alors que cette pratique rituelle consiste à consommer pour les initiés de la viande, du poisson, du vin, des céréales grillées et à pratiquer l’union sexuelle. Hyper cool donc… Dans une note, M. Brion fait une longue citation (souligné par nous) :

« Voici comment une autre modalité, bien connue au demeurant et généralement désignée comme dakshinâchâra, a été évoquée oralement, en 1994, par une tantrika de Bakreshwar, au Bengale-Occidental : Les tantrikas « méditent sur les pañchamakâras, lesquels ont beaucoup de significations secrètes. Par exemple, madya n’est pas le vin, mais plutôt une [technique] spéciale de respiration (prânâyâma) qui emplit de puissance. Mâmsa (viande) signifie “silence”, c’est-à-dire le contrôle de la parole, tandis que matsya (poisson) représente le déroulement de l’énergie de la kundalinî qui ressemble à un poisson quand elle est éveillée (jagrata) […] Maithuna [acte sexuel] est la montée et la descente de la kundalinî dans la colonne vertébrale, lesquelles unissent les côtés droit et gauche, les moitiés masculine et féminine de la personne. Mûdra [céréales] désigne la transe [le samâdhi ou « enstase »] spontanée lorsque l’Esprit universel [le « Suprême Soi »] (Paramâtmâ) et l’“âme vivante” (jîvâtmâ) sont unis. Les relations des différents doigts de la main, auxquels la plupart des gens pensent quand il est question de mûdras, représentent en réalité ces rapports à un degré plus profond. Par exemple, le pouce représente l’Esprit universel [le « Suprême Soi »] et l’index correspond au “moi individuel” ; le mudrâ lors duquel ils se touchent représente leur union. Le troisième doigt [le médius] est Shaktî, le quatrième est Shiva et le cinquième est Dakini ou Yoginî. Les mudrâs surviennent spontanément lorsque les gens sont en transe [en samâdhi] ». »

S’agit-il du fameux secret qui nous est révélé par cette tantrika bengalaise ?  Non, mais un simple jeu de correspondances, certaines un peu douteuses, que l’on pourrait multiplier indéfiniment sans rien dire sur le fond ni parvenir à bien grand-chose.

M. Brion va alors nous distiller de longues citations de l’œuvre de René Guénon. Il explique ainsi ce qu’est un rite, un symbole, etc. Puis il va dénoncer les erreurs modernes concernant le tantrisme avec toujours de longues citations de l’œuvre de René Guénon.

Il en vient à écrire ceci:

« Le rite des « Cinq M » est une méthode de réalisation qui relève des applications « techniques » de la doctrine dans sa dimension ésotérique. Il entre d’autant moins en conflit avec la smriti qu’il est normalement strictement secret. »

Puis en note (souligné par nous) :

     «  À notre époque, en Inde, sous la pression et les menaces de l’exotérisme, de sa variante déviée de caractère politico-idéologique puritaine, de l’influence occidentale ou des « clubs communistes contre la superstition », les doctrines et les méthodes du véritable Tantrisme ne sont pas secrètes désormais, comme ce fut toujours plus ou moins le cas, mais extrêmement secrètes. »

Logiquement, M. Brion ne devrait plus pouvoir nous dire quoi que ce soit sauf à nous parler du pseudo-tantrisme, le seul que l’on connaisse aujourd’hui. Mais pourtant il poursuit, on peut ainsi lire un peu plus loin (souligné par nous) :

« Certains ont voulu expliquer le rituel des « Cinq Makâras » par la nécessité de dépasser l’attachement à des formes extérieures ou pour « transcender le pur et l’impur », mais ces aspects ne peuvent avoir qu’un rôle subsidiaire puisque les rites ésotériques ne sont pas dépendants de l’exotérisme. Comme nous l’avons vu, le rite relevant exclusivement du domaine initiatique, la transgression ne peut être qu’apparente. Évidemment, nous ne parlons pas des déviations ou des parodies du rite qui, elles, sont transgressives puisqu’elles relèvent du domaine de l’erreur. Si la « transgression », envisagée à des fins spirituelles, était la raison d’être de ce rite, toutes ses composantes seraient interdites par les lois qui régissent le domaine exotérique, or ce n’est pas le cas. Ainsi, la consommation de céréales (mudrâ) n’a strictement rien de transgressif pour aucun des membres de la tradition hindoue. Pour la viande (mâmsa) et le poisson (matsya), la question est beaucoup moins tranchée et plus complexe qu’on ne le croit en général, mais ce caractère est également inexistant pour une partie des membres de la tradition hindoue admis à l’initiation, ne serait-ce notamment que pour les shûdras et les chândâlas, et aussi pour les mlecchas, même si ceux-ci ne furent jamais qu’une minorité. En tout cas, on peut remarquer qu’il n’a un tel caractère que pour les hindous smârtas (qui suivent strictement la smriti). »

On peut se demander si M. Brion sait de quoi il parle et de qui. Ainsi moins on est qualifié et plus on est apte à suivre la voie tantrique, très adaptée donc aux basses castes, aux hors castes et aux étrangers à la tradition hindoue. On croirait entendre le discours d’un évangéliste qui vous promet le Paradis pour tous et sans effort. Nous avons affaire à une sorte de tantrisme pour les nuls tout à fait en accord avec la grande illusion propre à la fin du Kali-Yuga.

M. Brion comme la tantrika du Bengale paraît apprécier lui aussi les correspondances improbables comme par exemple à propos des « Trois M » (Tri-Ma), Mâmsa, Madya et Maithuna. Il indique en note :

« La réduction des cinq offrandes (upachâra) à trois, qui sont les plus importantes, est à mettre en correspondance avec les trois mondes : sensible, subtil et spirituel. »  

Puis un peu plus loin, avec une assurance totale, il dépose toutes ces correspondances d’une traite :

« Les « Cinq M » correspondent ainsi aux cinq sens et aux cinq Éléments : Mudra, céréale, au sens de l’odorat et à l’élément Terre ; Matsya, le poisson, au goût et à l’élément Eau ; Madya, le vin, à la vue et au Feu ; Mâmsa, la viande, au toucher et à l’Air ; Maithuna au sens de l’ouïe et à l’Éther. Le rite des « Cinq Makâras » représente en réalité un processus de résorption des différents éléments constitutifs de la manifestation individuelle dans leur principe. Il offre ainsi la possibilité de sortir des conditions individuelles en s’affranchissant des déterminations particulières et limitatives (upâdhi) de l’existence corporelle, qui sont regardés comme autant de liens. Loin d’encourager ou de promouvoir ce dont les profanes l’accusent, à savoir un prétexte à des comportements hédonistes et licencieux ou à une exacerbation déréglée des sens, le Tantrisme, avec le rite initiatique des Pañcha-Makâras, vise au contraire à la disparition ordonnée de toute « sensualité ». »  

Et ainsi nous avons droit à sa note 48 en rapport avec les conditions individuelles (souligné par nous) :

 « À partir des doctrines hindoues, René Guénon a établi les correspondances existant entre les cinq éléments et les cinq sens dans « Kundalinî-Yoga » et dans « La théorie hindoue des cinq éléments » : à la Terre correspond l’odorat ; à l’Eau, le goût ; au Feu, la vue ; à l’Air, le toucher et à l’Éther, l’ouïe. Il a également mis les éléments et les sens en correspondance avec les cinq conditions de l’existence corporelle : l’espace, le temps, la matière (dont le nombre est le véritable fondement), la forme et la vie; ce que Palingénius réunit en une seule définition en disant qu’un corps est « une forme matérielle vivant dans le temps et dans l’espace » (« Les conditions de l’existence corporelle », La Gnose, 1912, p. 10). Dans ce texte, il a établi que le temps correspond à l’Éther et au sens de l’ouïe, l’espace étant en correspondance avec l’Air et au sens du toucher (Sur le rôle du sens du toucher dans le Tantrisme, cf. Ernst Fürlinger, The Touch of Śakti. A Study in Non-dualistic Trika Śaivism of Kashmir, New Delhi, 2009). La publication de la revue La Gnose ayant été interrompue, la suite de son étude n’a pas été publiée, ni sans doute rédigée. Il n’a donc pas donné les autres correspondances. On pourrait néanmoins considérer que la forme correspond au Feu et à la vue, la vie à l’Eau et au goût, et le nombre (ou la matière) à la Terre et à l’odorat. Cependant, d’après quelques notes de Guénon remontant à fin 1910 - début 1911, mais auxquelles on ne peut toutefois pas donner un caractère définitif en raison de leur nature apparemment « provisoire », et qui figurent dans un document aimablement communiqué par M. Brecq intitulé : « Les conditions de l’existence corporelle. Correspondances avec les sens et les éléments », la matière (ou le nombre) correspondrait à l’Eau et au goût, et la vie à la Terre et à l’odorat. Quoi qu’il en soit, ces cinq conditions sont celles dont l’ensemble définit l’existence corporelle, qui est naturellement prise comme point de départ pour la réalisation aboutissant à la Délivrance. Celle-ci implique que l’être est libéré du temps, de l’espace, du nombre (qui est la base de la « matière »), de la forme et de la vie (même si cette Délivrance est accomplie « dans la vie »). »

M. Brion fait ainsi passer René Guénon pour un parfait idiot, pour un auteur qui ne sait pas ce qu’il veut et doit écrire, qui patauge. On ne peut pas être plus méprisant. Ainsi avec l’amabilité extrêmement suspecte de M. Brecq, Marc Brion cherche à porter un rude coup à la crédibilité de l’œuvre de René Guénon.

D’après lui il n’y a que pour René Guénon que ce n’est pas évident. D’après lui donc René Guénon n’y comprend rien. René Guénon n’étant plus là pour le remettre à sa place, alors M. Brion, à qui on ne demande rien, s’autorise à pérorer. Et puis il a eu connaissance de ce document manuscrit top secret : « Les conditions de l’existence corporelle. Correspondances avec les sens et les éléments » détenu par M. Brecq et alors René Guénon n’est plus qu’un jouet qu’on manipule. Attitude répugnante qui sent le soufre. M. Brion déclare : « quoiqu’il en soit », en gros il s’en moque complètement de ce que peut bien écrire René Guénon. Mais alors pourquoi écrire cette note, puisqu’il ne sait rien. Dans un cas comme cela, on se tait. Mais non, M. Brion se gargarise avec cette orgie tantrique de citations de l’œuvre de René Guénon, pour lui il n’est qu’un faire-valoir, mais sur le fond il se moque complètement de cette œuvre.

Ainsi René Guénon qui avait établi cette liste avec toute l’étendu de sa Connaissance n’aurait pas su lui-même à quoi elle pouvait bien correspondre. Cette liste n’est pas le fruit d’une traduction de termes orientaux. Cette liste a été élaborée avec des termes en français et seulement en français. Chaque terme a été minutieusement choisi par René Guénon et par lui seul.

Et c’est M. Brecq qui a donné tous les éléments utiles à cette déstabilisation mémorable. M. Brecq qui passe son temps à s’auto-décerner toutes les imprimaturs, qui déclare agir avec toutes les autorisations officielles, qui est le plus « traditionnel » parmi les représentants de la tradition. M. Brecq, qui doit tout à René Guénon, ne trouve rien de mieux à faire que cette ânerie pour le remercier. L’âne qui porte des reliques. On l’a vu faire cette déclaration (Cahiers de l’Unité, n°3 https://www.cahiersdelunite.com/postface-orient-occident, note 19) :

« Puisque l’occasion nous est donnée, nous nous permettrons d’ajouter que plusieurs auteurs, alors qu’ils rédigeaient telle ou telle de leurs études, nous ont sollicité pour savoir si René Guénon avait écrit sur certains sujets précis en dehors de ses ouvrages. Dans la mesure où leurs travaux présentaient les garanties d’orthodoxie traditionnelle, nous avons toujours répondu favorablement aux demandes qui nous ont été faites. C’est ce qui explique que l’on trouve dans leurs livres ou articles des passages de Guénon provenant de notre fonds de textes inédits.

Mais quand va-t-il cesser ce petit jeu funeste, cette singerie. M. Brion présente-t-il vraiment toutes les garanties d’orthodoxie traditionnelle ? Et M. Brecq peut-il en être juge ? Quand enfin prendra-t-il conscience qu’il serait temps de faire quelque chose d’honnête et de sensé avec SON fonds de manuscrits ? Quand prendra-t-il conscience qu’il n’est pas René Guénon et qu’il n’en a certainement pas l’autorité ?

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