lundi 24 décembre 2018

Dérèglement et accélération du temps


Dérèglement et accélération du temps


L’homme moderne fait preuve d’une telle prétention qu’il se pense bien souvent comme le créateur du monde qui l’entoure. Lorsqu’il met au point une machine il croit en être le complet inventeur sans se rendre compte qu’il ne fait qu’utiliser les lois et les propriétés de la matière qu’il utilise. L’homme moderne croit être l’AUTEUR des dérèglements que l’on observe dans tous les domaines mais il n’en est que l’ACTEUR. Il ne comprend pas que les lois cycliques s’imposent à lui et que ce n’est pas lui qui les engendre. Ainsi cette accélération du temps, qui donne l’impression qu’une semaine entière s’écoule avec la densité de ce qu’était une journée dans un passé pas si lointain, n’est pas une conséquence de l’activité humaine. Cette accélération comme l’a si bien expliqué René Guénon n’est qu’une résultante des déterminations qualitatives du temps. Mais on doit aussi tenir compte du processus d’action et de réaction concordante pour bien comprendre que l’homme moderne est poussé à participer à cette accélération globale en opérant notamment au fil des décennies une gestion différente de l’énergie. Passant d’une énergie simplement déposée par les astres (photosynthèse ou effet de marées pour ne prendre que deux exemples) à un prélèvement direct de l’énergie contenue dans la matière enfouie au sein même de notre planète (énergie dite fossile ou énergie nucléaire pour prendre là-aussi que deux exemples). On a ainsi obtenu une transformation radicale de la planète. L’énergie qu’un seul homme moderne peut exploiter aujourd’hui lui donne une capacité qui est des centaines de fois supérieure à celle qu’un homme de la tradition pouvait avoir. Un seul homme moderne peut ainsi construire mais surtout détruire avec une puissance considérable. Son action est ainsi totalement incontrôlable car surmultipliée. Il n’aura suffi que d’un petit demi-siècle pour ravager entièrement la planète par des terrassements, des contaminations et autres pollutions de toutes natures.

Cette accélération combinée avec ce sentiment de surpuissance fait aussi croire à l’homme moderne qu’il pourrait revenir en arrière et tout remettre en ordre en un délai totalement improbable. Il n’est pas un jour où l’on ne nous annonce pas une nouvelle invention mirifique qui doit tout régler ou qu’il nous suffit de faire preuve d’une bonne volonté supersonique pour qu’en quelques années tous nos maux aient disparu. Les medias nous laissent sous la menace quasi immédiate de la fin de cette humanité si les dirigeants et autres hommes d’Etat ne prennent pas des décisions radicales et urgentes pour tout changer et le lendemain ces mêmes médias nous rassurent en expliquant qu’il suffit que l’on opère par exemple un tri sélectif fait par chaque habitant de la planète vus comme de bonnes petites fourmis ouvrières pour que tout redevienne propre comme un sous neuf.

On fait toujours confiance aux scientifiques qui trouveront toujours la solution alors qu’ils ne font depuis ce demi-siècle que d’accumuler les bourdes (énergie nucléaire, manipulations génétiques, etc.). Ils sont d’ailleurs les premiers à mettre en garde contre les grands dangers que présentent leurs nouvelles inventions (Albert Einstein et autres dénonçant l’usage de l’énergie atomique ou Bill Gates et autres celui de l’intelligence artificiel).

Dans le dérèglement climatique que l’on observe dorénavant, ces scientifiques n’ont même pas anticipé les effets des propriétés de l’eau selon qu’elle est liquide ou solide. L’eau qui est pour de bonnes raisons le symbole de la substance universelle possède des propriétés uniques. On retiendra cette singularité qui fait que l’eau gelé occupe un plus grand volume que la même quantité d’eau sous forme liquide et nos grands scientifiques n’ont pas pensé qu’il suffisait à un moment donné d’un accroissement même infinitésimale de température pour que des bouleversements phénoménales se produisent dans les régions qui jusqu’ici étaient perpétuellement gelés et qu’alors le dérèglement s’accélère vertigineusement.

Cette accélération du temps qui s’impose à l’homme moderne ne semble pas le dissuader de son impuissance. Convaincu donc qu’il va pouvoir utiliser cette accélération pour rattraper toutes ses erreurs, il se fixe ainsi des dates limites extrêmement rapprochées pour annoncer que l’on pourrait tout sauver en un tour de main. La révolution industrielle a débuté au milieu du XIXème siècle, il a fallu attendre tout le XXème siècle pour ravager la planète, donc un siècle entier avec une accélération très nette dans la seconde moitié de ce XXème siècle et maintenant on pense tout pouvoir inverser en une petite vingtaine d’années et encore si l’on agit immédiatement et mondialement.

dimanche 16 décembre 2018

Influence spirituelle


Influence spirituelle


Qui s’interroge sur la possibilité d’une réalisation spirituelle doit, paradoxalement, reconnaître que ce qui « est réel » ne saurait être l’effet d’un quelconque devenir. Totalement inconditionnée, la réalisation spirituelle ne peut être la conséquence de quoi que ce soit.

Mais si l’on veut envisager malgré tout un certain devenir, d’ailleurs suggéré dans cette interrogation par l’idée de possibilité (1), c’est dans la disparition progressive de ces illusoires limitations qui sont comme autant de voiles entre l’être et le Principe (2) ou, pour s’exprimer autrement, entre l’individualité et l’ « Homme universel ».

On peut voir dans cette dernière phrase comme une sollicitation implicite à l’énoncé des caractères fondamentaux de l’influence spirituelle qui est à la fois témoignage du lien permanent unissant l’Homme au Principe (3) et puissance qui en opère la reconnaissance.

Il convient de noter aussitôt que l’influence ne saurait à proprement parler se substituer à l’être (4). Bien qu’elle puisse être une source d’éveil, il ne suffit pas de recevoir une influence spirituelle pour être immédiatement délivré. Car témoin du lien dans le Principe, l’influence spirituelle trace une voie. Et c’est en cela que s’exprime sa puissance opérative (5).

De même que l’on peut dire qu’à chaque être correspond un voie propre, on peut envisager une égale diversité d’influences spirituelles non quant à leur principe mais quant à leur caractère opératif.

Transmise par un rite, l’influence spirituelle est, comme ce dernier, initiée (6) par une révélation.

Elle a ainsi sa source dans le Principe et, comme la révélation, elle vient toucher l’être manifesté jusqu’aux limites de son individualité (7).

Transcendante, elle est ainsi le témoin signifiant à l’homme qu’il est aussi porteur de cette même transcendance.

Recevoir une influence spirituelle, c’est être investi de la puissance du Tout qui est le signe même de cette nature transcendante.

L’Esprit ne saurait être limité : touché par son souffle, c’est toute la puissance d’identification qui est ainsi sollicitée donnant à l’être l’intégralité d’une présence qui peut être le ferment de sa réalisation spirituelle (8).

Toute influence spirituelle quelque soit sa spécificité porte la marque de sa Source, qui n’est autre que celle de l’Infini. Transcendante, elle est réalisatrice de son infinitude.

Une influence spirituelle détermine une voie qui n’est autre que celle qu’elle a elle-même suivie par sa révélation. L’influence comme la révélation est une présentation de la Réalité. L’Homme est mis en présence du Principe et donc mis en demeure de se « reconnaître » (9).

Parcourant la voie dans sa phase descendante, celle parcourue par la révélation, l’influence se détermine. Cette détermination définit notamment le mode opératif qu’il conviendra de suivre pour parcourir la voie dans sa phase ascendante (10).

Comme la révélation, l’influence spirituelle parcourt toue l’étendu des plans spirituel, subtil et corporel. Son caractère opératif lui donne donc cette possibilité de produire des effets sur tous les plans soumis au devenir où cette notion même d’effet est concevable.

Dans sa spécificité, elle opère plus particulièrement dans le plan où elle a sa nécessité et qui constitue à proprement parler son plan de réflexion. On ne peut malgré tout lui contester son universalité (11), même si elle est spécifiquement opérative sur un plan donné. Cette universalité lui permet ainsi d’être opérative sur tous les autres plans pourvu que ce déplacement d’influence se fasse selon l’axe même qui l’a vu naître (12).

Cette valeur Une et totalisante fait qu’une influence spirituelle pourra toujours porter effet dans l’intégralité des domaines ésotérique et exotérique, même si le rite qui la transmet ne s’attache en définitive qu’à l’un de ces domaines.

Il n’y a pas d’impossibilité de principe à voir une influence spirituelle reçue dans un rite exotérique porter des fruits sur le plan initiatique. La réciproque étant encore plus évidente car une influence spirituelle reçue dans un rite initiatique présuppose, pour porter des effets, une harmonisation des plans qui résultent du domaine exotérique.

Mais s’il n’y a pas d’impossibilité de principe, il y a bien une quasi impossibilité de fait correspondant à cet effet d’adéquation qui concentre l’influence au domaine qui l’a nécessitée. Cette nécessaire adéquation permet de rendre compte de l’existence propre des rites exotériques et initiatiques et d’une égale distinction entre les influences véhiculées dans chacun des deux domaines.

Cette existence propre n’est pas fortuite, pas plus que la multiplicité des influences qui en résultent, car l’une et l’autre ne font que rendre compte de la diversité des voies et donc des qualifications requises qui les caractérisent.

Une influence spirituelle spécifique, lorsqu’elle se détermine, trace une voie particulière que ne pourront suivre que ceux qui répondent à cette même détermination qualifiante.

S’il n’y a pas équivalence entre la qualification requise pour rendre l’influence reçue effective et la qualification propre à l’être qui en devient porteur, l’influence limitera ses effets aux limites de qualification de cet être. Ainsi, s’il n’y a pas d’impossibilité, il n’y a donc pas grand avantage à se voir porteur d’une influence dont on ne saura canaliser les effets pour en obtenir une réalisation (13).

Une influence pour être opérative doit rencontrer un champ de qualification correspondante. Mais toute influence quelque soit sa spécificité (14) portera toujours et par surcroit en elle le germe d’une réalisation effective pour un être pleinement qualifié.

Toute influence peut être ainsi toujours l’objet d’une adaptation d’un domaine à un autre ou d’un plan à un autre. La seule condition de validité pour cette adaptation est de suivre l’axe de la révélation. Tout égarement de cette voie rendra l’adaptation du rite totalement inopérante. On voit ainsi qu’il est plus immédiat d’adapter une influence d’ordre initiatique au domaine exotérique puisqu’il « suffit » d’en parcourir la voie descendante et donc de l’ « ouvrir », d’en limiter les exigences qualifiantes. Le processus inverse ne peut être que tout à fait exceptionnel puisqu’il est extrêmement sélectif ; il ne peut concerner que quelques « personnalités » exceptionnels.

Le cheminement spirituel d’un être fait qu’il devient le plus souvent porteur de plusieurs influences spirituelles. Cette multiplicité se justifiant d’autant plus que cet être est qualifié à parcourir tous les plans (15) qui totalisent les deux domaines respectivement exotérique et ésotérique (16).

Cette multiplicité n’est jamais un facteur de confusion (17), car l’Esprit procède par une intégration synthétique (18) où tous les effets trouvent leur harmonisation réalisatrice (19).

Eveillant notre volonté (20) à suivre cette voie qui doit nous mener effectivement en Dieu, l’influence est une potentialité dans l’accomplissement du destin qualifié d’un être, une puissance providentielle qui peut faire de cet éveil virtuel une réalisation effective où l’être transformé se reconnaît tel qu’il n’avait jamais cessé d’être.

________________________

1.      Cette corrélation entre le possible et le devenir doit être plus particulièrement entendue dans ce cas précis comme répondant à cette étendu illusoire qui sépare le virtuel de ce qui doit être conçu comme effectif.

2.      Limitations qui correspondent aux degrés d’ignorance de l’être non effectivement réalisé.

3.      Ce lien qui pleinement transcendé accomplit l’identification totalisante dans le Principe.

4.      Car si l’Esprit est de toute éternité, encore faut-il pouvoir le « reconnaître ». Telle est la raison d’être du travail intérieur.

5.      Précision importante : si l’influence en tant que support du cheminement spirituel mène à l’Esprit, l’Esprit, totalement inconditionné en soi, ne saurait s’y réduire.

6.      Au sens étymologique où initiare signifie « commencer ».

7.      Spécifions que puisque toute révélation (comme tout rite) a sa source médiatrice dans la Tradition primordiale, l’influence spirituelle peut être transmise dans le « Silence », principe de toute révélation, c’est-à-dire si l’on peut s’exprimer ainsi par le « rite primordial informel », principe de tout rite. Et précisons aussi que le terme de révélation s’étend ici à toute l’étendu hiérarchiques de degrés qu’il est susceptible de représenter.

8.      Qui deviendra effective si celui qui le reçoit en porte la qualification. Ce souffle l’accompagnera tout au long de son cheminement spirituel.

9.      Cette reconnaissance effective n’étant que cette ultime intuition du Réel où s’identifient le Connaissant et le Connu dans la Connaissance.

10.  Cette détermination porte sur tous les plans qui sont ainsi parcourus. Elle définit ainsi des conditions spécifiques pour tous les états qu’elle influence et notamment en ce qui concerne les états posthumes.

11.  Directement lié à son caractère transcendant, l’Esprit ne saurait être limité.

12.  L’adéquat déplacement d’influence correspond à une adaptation « verticale » qui peut être notamment nécessitée par cette « chute » qui accompagne le déroulement cyclique.

13.  Sans qualification spécifique, l’être reste dans le plan de la virtualité. Il n’est bien souvent qu’un simple intermédiaire passif qui ne fait qu’aider l’influence à maintenir sa présence au fil des générations.

14.  Répétons-le, même si sa détermination est du domaine simplement exotérique.

15.  Ce terme doit être entendu ici comme en étroite correspondance avec la nature spécifique de l’influence qui y trouve son champ d’action. Il peut correspondre ainsi aux différents degrés ou aux grandes stations qui jalonnent le cheminement spirituel.

16.  Cette notion de qualification s’entend toujours par rapport à l’état humain. Car il convient de ne pas perdre de vue que tout homme, fait à l’image de Dieu, est en Réalité « Homme universel ». La qualification répond à cette particularité de la voie propre qui rend la réalisation effective dans un état donné (tel l’état humain) plutôt que dans un autre.

17.  Dans l’hypothèse où plusieurs influences concerneraient le même degré ou le même état d’être.

18.  Et non syncrétique.

19.  Ceci ne doit pas être compris comme un encouragement à multiplier les réceptions d’influences même si l’Esprit veille et reste Un, malgré les faiblesses et l’ignorance des êtres.

20.  Cette volonté qui permet à l’être d’opérer ce travail intérieur qui prépare sa libération.

jeudi 22 novembre 2018

La théorie de l’évolution se contredit


Les contradictions des tenants de la théorie de l’évolution

On ne comprend pas pourquoi les très nombreux tenants de la théorie de l’évolution n’en tirent pas les conclusions qui s’imposent quant à l’avenir de l’humanité face à cette nouvelle grande extinction.

La théorie de l’évolution fait pratiquement l’unanimité. Elle fait notamment descendre l’homme du singe après une série de grandes extinctions qui ont toujours été dans le sens du progrès. Chaque extinction est responsable d’un grand bond en avant faisant émerger des formes de vie toujours plus performantes.

Aujourd’hui on s’accorde à reconnaître que nous sommes à l’aube d’une nouvelle grande extinction et l’humanité s’inquiète et tout particulièrement les tenants de la théorie de l’évolution. Mais pourquoi ? Ils devraient tous s’en réjouir. Ils annoncent que la plus grande partie des espèces va disparaître y compris l’homme. Mais s’ils croient en cette théorie, même si la vie est pratiquement éradiquée sur cette planète, la théorie prévoit qu’il y aura ensuite par le plus grand des hasards un progrès irrémédiable qui viendra remplacer toutes ces espèces y compris l’homme pour donner de nouvelles formes de vie très supérieures.

Une nouvelle branche devrait apparaître sur l’arbre de l’évolution depuis un point actuellement invisible pour donner naissance après des milliards d’années dans un jeu de hasard et de mutations  à des formes de vie inconnues et bien supérieures à tout ce que l’on a déjà connu y compris l’espèce humaine.

L’homme « évolutionniste » ne veut pas disparaître, il est ainsi en totale contradiction avec cette théorie qui lui tient lieu de dogme. Il devrait en toute cohérence tout faire pour accélérer cette extinction pour que les nouvelles formes de vie qui remplaceront l’homme apparaissent au plus vite avec ce processus hasardeux  toujours positif et ce fameux progrès perpétuel.

Pour les tenants de la théorie de l’évolution, l’homme ne devrait être qu’une étape parmi les autres. L’homme qui serait ainsi apparu par hasard doit disparaître aussi par hasard et laisser sa place au nom de ce progrès dont il se croit le fruit.

Mais si l’homme « évolutionniste » ne veut pas disparaître n’est-ce pas la preuve ultime que cette théorie qu’il a lui-même inventée est fausse !!!

dimanche 11 novembre 2018

Les fausses lettres de René Guénon


Les fausses lettres de René Guénon



Le texte d’une lettre singulière occupe une place remarquable comme source des rapports entre René Guénon et la Franc-maçonnerie. Il s’agit de la lettre « à Edmond Gloton du 17 mai 1947 ». Mais le texte de cette lettre pose un grand nombre de questions au point de devoir se demander si René Guénon en est vraiment l’auteur.

 Le texte de cette lettre est reproduit notamment sur le site Index (http://www.index-rene-guenon.org/Access_book.php?sigle=C-EdG&page=1) et l’on trouve également sur divers sites d’internet des scans des pages manuscrites de cette lettre où l’on reconnaît effectivement cette écriture très caractéristique.

Le passage de cette lettre qui semble le plus intrigant est celui qui évoque des « fausses lettres » :

« Ce Téder, personnage fort suspect à tous les points de vue, n’avait de vraiment remarquable qu’une énorme érudition historique, dont il savait d’ailleurs fort bien se servir surtout pour « truquer » les documents et leur faire dire tout ce qu’il voulait ; toute sa campagne contre le G O est un véritable chef-d’œuvre en ce genre spécial… Comme il craignait que je ne voie trop clair dans ses agissements (je n’avais pourtant alors que 22 ans), il résolut d’inventer n’importe quoi pour m’éliminer ; pour impressionner Papus et autres, il fabriqua toute une série de fausses lettres de moi, dont, chose curieuse, il ne pouvait montrer que des photographies, et qui servirent de base au rapport dont il est question dans la note susdite. »



Comment faut-il comprendre les choses. Téder serait un mauvais faussaire. Il veut fabriquer des lettres mais  il ne parviendrait pas à imiter de façon convaincante l’écriture de René Guénon. Mais alors comment des photographies de ces lettres qui doivent être suffisamment lisibles pour intéresser et tromper Papus pourraient cacher la supercherie. Lorsque l’on consulte des scans aujourd’hui sur le net et donc des photographies des lettres de René Guénon ont identifie immédiatement son écriture caractéristique. Une photographie comme un scan d’une lettre qui serait une fausse lettre avec une écriture maladroitement imitée serait immédiatement dénoncée comme fausse. Et Papus comme toute autre personne connaissant l’écriture de Guénon n’aurait pas pu être dupé. L’usage de la technique photographique ne peut être d’aucune aide. De plus nous sommes alors en 1909 et l’usage de la photographie pour donner copie d’un texte aurait paru incroyablement suspect. Une dactylographie ou une copie faite par un autre intervenant avec sa propre écriture en expliquant que les originaux ont été perdus ou détruits paraîtrait étonnement plus vraisemblable.

Cette lettre à Gloton offre d’autres passages tout aussi étranges. Nous retiendrons encore celui-ci où René Guénon aurait écrit :

« Ceci m’amène assez directement à vous parler d’une autre affaire, celle-là fort désagréable pour moi, que je viens d’apprendre par un F qui n’en avait pas eu non plus connaissance jusqu’ici: un catholique (et, pour le noter en passant, cela vous montrera qu’il y a des « fuites ») lui a envoyé dernièrement, dans une intention qu’il n’est que trop facile de deviner, la copie d’une note me visant, qui a paru dans la « Chaîne d’Union » de janvier 1946. »

On doit vraiment s’étonner qu’Edmond Gloton qui dirige cette revue la « Chaîne d’Union » n’ait pas averti René Guénon en janvier 1946 (soit plus d’un an avant l’écriture de cette lettre) qu’une « note » paraissait dans sa revue le concernant. L’auteur de cette lettre qui écrit à Edmond Gloton ne semble pas savoir qu’Edmond Gloton dirige la revue la Chaîne d’ Union. René Guénon a-t-il pu écrire ce passage de cette lettre ? Ou cette lettre n’est pas adressée à Edmond Gloton  bien qu’on y trouve un passage concernant les publications de ses rituels?

De la même façon que l’auteur de cette lettre à Edmond Gloton parle de « fausses lettres » de René Guénon, ne faut-il pas penser que l’écriture si caractéristique de René Guénon toujours très lisible a pu être imitée et que de nombreuses lettres sont des faux. Cette lettre parlant de fausses lettres serait ainsi l’une d’entre elles.

La meilleure façon de faire croire qu’un document est authentique n’est-il pas d’y inscrire la mention qu’ailleurs on a fabriqué des faux ?

vendredi 2 novembre 2018

La disqualification


La disqualification

 Voici ce que nous avons écrit (https://brunohapel.blogspot.com/2018/10/rene-guenon-le-solitaire.html) sur notre blog comme dans notre ouvrage intitulé René Guénon et le Roi du Monde (souligné par nous en gras avec un ajout de texte en rouge) :

« Dire que nous approchons du terme de la présente humanité, c’est nécessairement reconnaître que la disqualification doit avoir force de loi. La fin d’un cycle étant en correspondance inverse avec son origine, la tendance qualifiante du temps présent doit être à l’image de la tendance disqualifiante de l’âge d’Or ! Ainsi c’est non sans regret que nous [l’humanité…] devons confesser notre disqualification irrémédiable. Que l’on se rassure cette tendance disqualifiante ne peut être absolue. Il nous faut calmer ces quelques frémissements d’impatience condescendante. Car enfin, peut-on avoir l’outrecuidance de nier la qualification de tel ou tel ? En Occident n’y a-t-il pas eu René Guénon ? Et bien oui justement, car voici l’exception qui confirme la règle. »

Nous n’avons donc jamais parlé de notre propre qualification ou disqualification. Le « nous » représentant l’humanité, nous n’avons jamais exclu les exceptions. Le ton un peu ironique de notre texte était fait pour moquer les prétentions de ceux qui se voient justement comme des exceptions sous l’effet d’un ego surdimensionné.

La Fondation René Guénon


La Fondation René Guénon…



En 2021, l’œuvre de René Guénon basculera en France dans le domaine public.

Devant cette échéance, une curieuse « Fondation » vient de se déclarer et a entrepris un travail d’édition assez particulier.

Le premier ouvrage à avoir subi ce nouveau traitement est Le règne de la quantité et les signes des temps.

On peut ainsi lire le texte d’une « Annonce » qui figure en ouverture de cette réédition déclarée comme édition définitive établie sous l’égide de la Fondation René Guénon. En voici un extrait:

 « Cette Fondation, dont le siège se tiendra au Caire en la demeure même qui fut celle de René Guénon, a pour objet de rassembler sous son égide l’ensemble des ouvrages et documents constituant l’œuvre intellectuelle de René Guénon, afin d’en assurer la diffusion — éditoriale et autre — dans les meilleures conditions. »

On y trouve également ces deux déclarations problématiques :

 « La Fondation déclare expressément n’être liée à aucune religion particulière, ni à aucun mouvement, école, groupe ou parti, quels qu’ils soient. »

 « Elle affirme n’avoir pas davantage pour but ni pour mission de s’impliquer, à quelque titre ou degré que ce soit, dans le domaine des prolongements contemporains — d’ordre intellectuel ou autre — de l’œuvre de René Guénon. »

René Guénon sous le pseudonyme de Palingénius avait notamment écrit : « Étymologiquement, le mot Religion, dérivant de religare, relier, implique une idée de lien, et, par suite, d’union. »

La Fondation René Guénon n’étant liée à aucune religion n'est donc pas liée à "ce qui relie". Constituée nécessairement d'un groupe d’individus, ceux-ci n'ont donc aucun lien d'aucune nature entre eux, même pas celui du souci de respecter l'œuvre de René Guénon. Cette fondation est donc un chaos volontaire. L’œuvre de René Guénon est fondamentalement traditionnelle. Cette Fondation est donc fondamentalement laïque au sens moderne.

Elle déclare ne pas s’impliquer dans des prolongements contemporains de l’œuvre. Mais chaque réédition comporte une annexe. Une annexe est ce que l’on rattache à la partie principale. Ne doit-on pas la considérer comme un prolongement de cette partie principale. Et donc bien comme un prolongement contemporain puisqu’elle n’existait pas dans les publications par le passé. On doit donc en déduire que les annexes qui figurent et figureront en fin d’ouvrage ne sont pas publiées sous l’égide de la Fondation. On en prend acte !

Un second ouvrage a suivi, une réédition de l’Esotérisme de Dante avec une « Annonce » sensiblement comparable (un paragraphe concernant les Editions Traditionnelles a été supprimé) et une annexe dans le même style.

A notre grande surprise, l’un de nos dossiers sur l’œuvre de René Guénon est cité, mais singulièrement sans en donner le titre (une coquille ? Sans doute). Il s’agit de notre livre René Guénon et le Roi du Monde. Nous devons préciser que nous n’avons rien à voir ni de près ni de loin avec cette « Fondation », même si nous avons le plus profond respect pour la famille de René Guénon et pour les ayants droit.

Cette annexe comme sa précédente adopte un style qui se veut très érudit. Pratiquement 14 pages de blabla pour cette dernière annexe. En voici un premier extrait :

 « C’est en italien qu’il [René Guénon] avait lu la Divine Comédie, tout comme le De Monarchia et la Vita Nova ; il confirma le fait à un correspondant brésilien, Fernando Galvao (lettre du 16 octobre 1929), tout en reconnaissant la qualité des traductions d’Artaud de Montor ou du père J. Berthier. »

Si l’on se réfère à la copie tapuscrite fragmentaire de cette lettre à F. Galvao (donc sous toutes les réserves possibles…), on peut y lire que René Guénon indique : «… car je dois vous avouer que je ne connais aucune des traductions françaises de Dante, n’ayant jamais lu que le texte italien. » Un peu plus loin, il précise : « il paraît que celle d’Artaud Montor est assez bonne…. On m’a dit beaucoup de bien de celle du père Berthier… »

Le grand érudit (était-il seul ?) qui a écrit cette annexe ne semble pas savoir que le De Monarchia a été composé par Dante en latin et donc que René Guénon qui ne cite d’ailleurs pas le titre des œuvres a lu en italien l’œuvre italienne et en latin l’œuvre latine. Et l’on remarque aussi que René Guénon ne reconnaît nullement la qualité des deux traductions mentionnées… Il paraît… On m’a dit… Voilà un exemple parmi d’autres des manipulations que l’on peut faire avec de soi-disant recours à la correspondance. Pour quelque chose de tout à fait anodin et marginal, la déformation est déjà abyssale, alors pour des sujets plus complexes on n’ose pas imaginer ce qu’il peut être fait ou ce qu’il pourra être fait avec cette correspondance.

Un peu plus loin, notre érudit contredit de façon péremptoire les déclarations de René Guénon qui écrivait : « De telles coïncidences, jusque dans des détails extrêmement précis, ne peuvent être accidentelles, et nous avons bien des raisons d’admettre que Dante s’est effectivement inspiré, pour une part assez importante, des écrits de Mohyiddin ; mais comment les a-t-il connus ? » René Guénon argumente longuement et prudemment. Mais pour notre érudit la question est tout tranchée : « En aucun cas, il ne pouvait s’agir de textes d’Ibn Arabi, mais du Livre de l’échelle de Mahomet… ». Les explications de René Guénon il s’en moque éperdument puisqu’il a un brave universitaire sous la main pour sembler les contredire.

Certes on réédite cette œuvre de René Guénon, mais on ne va quand même pas se priver de cette opportunité de porter le maximum de coups. L’intéressé n’est plus là, les « guénoniens » ne le défendent pas non plus, alors c’est merveilleux, le champ est libre.

Un dernier point quasi comique. Nous donnions des informations dans notre dossier sur le tirage de l’édition originale de l’Esotérisme de Dante en précisant selon la notice de justification de tirage : « 850 exemplaires, savoir 100 sur vergé d’Arches et 750 sur papier vélin. »

Notre érudit précise : « Si le premier tirage fut modeste, huit cent cinquante ou mille exemplaires [ Selon Hapel, op. cit., p. 156 (ce que confirme sa correspondance)] ».

Nous sommes désolé mais nous ne parlons pas de 1000 exemplaires. Et la correspondance (avec quel interlocuteur ? En quelle année ? etc.), elle confirme quoi ? 1000 exemplaires ou 850 ? Elle contredit la notice de justification de tirage ? Elle indique que des exemplaires Hors Commerce ont été distribués, donnés en Service de Presse ? Pourquoi notre érudit n’a pas indiqué simplement que le tirage ne dépassait pas les 1000 exemplaires puisqu’il ne sait pas se servir des informations précises données par d’autres.

Cette annexe est bonne pour la poubelle… On pourrait écrire ainsi :

 « René Guénon est un … Et pense que … (ce que confirme sa correspondance). »  On peut remplacer les trois petits points par des expressions de son choix.

Et revenons encore sur cette question de l’utilisation de la correspondance.

Une première remarque qu’il convient de faire. Si René Guénon a laissé publier certaines de ses lettres (comme celle adressée aux Cahiers du mois par exemple), on ne peut en conclure pour autant que toutes les lettres qu’il a pu écrire (en nombre assez considérable) l’aient été en vue d’une éventuelle publication. Toutes ses lettres ont et gardent un caractère strictement privé. Le fait de les livrer à la publication (sans bien évidemment l’accord des protagonistes) ne les rendent pas publiques pour autant malgré les apparences. Une violation du domaine privé ne saurait intégrer ces lettres au domaine public et donc à l’œuvre au sens stricte.

L’individu, qui est bien le seul à avoir légitimement le droit de publier le contenu d’une lettre privée est bien évidemment son destinataire. Ainsi René Guénon pouvait faire état dans ses articles des informations transmises, par exemple, par A. K. Coomaraswamy dans sa correspondance avec lui. Il faut bien voir alors que les informations initialement privées sont alors intégrées à l’œuvre publique du destinataire. Il est à noter que le niveau d’autorité du contenu de la lettre vient alors se mettre en adéquation avec celui de son destinataire. Ainsi une lettre reçue et utilisée par René Guénon dans son œuvre acquiert de ce fait l’autorité de son œuvre. Mais inversement, l’utilisation par un destinataire d’une lettre reçue de René Guénon ne donne pas à ce destinataire un surcroît d’autorité.

Le fait d’avoir été un correspondant de René Guénon, le fait d’utiliser les lettres reçues dans son œuvre personnelle ne confère pas à ce dernier ou à cette dernière l’autorité de René Guénon.

Un individu disqualifié même s’il est devenu correspondant de René Guénon reste un individu disqualifié. Si cette correspondance vient à être publié il ne faudra jamais perdre de vue qu’elle s’adressait à un individu disqualifié et que ceci ne pouvait pas ne pas influencer les réponses de René Guénon. On contestera peut-être le fait que René Guénon ait pu répondre à un individu disqualifié ? On doit constater pourtant qu’il a rendu compte publiquement de certaines publications malgré la disqualification évidente et la médiocrité des auteurs en y consacrant pourtant beaucoup de temps et d’énergie. Ce qu’il a fait publiquement, rien n’empêche de penser qu’il ait pu vouloir le faire également dans le domaine privé avec autant de patience et de charité.

Précisons également que le destinataire des lettres de René Guénon, lorsqu’il en vient à les exploiter dans son œuvre en devient intellectuellement le « propriétaire » puisque ces lettres ne s’adressaient qu’à lui et à lui seul. Un correspondant utilisant ainsi la matière des lettres doit signer ce travail de son nom et non de celui de René Guénon. Ainsi on ne peut légitimement intégrer dans un ouvrage posthume de René Guénon le résultat de cette exploitation même si l’on n’oublie pas de signer son intervention.

Autant il peut être légitime dans le cadre de son propre travail de faire état de sa correspondance avec René Guénon, d’en relever le contenu doctrinal et de le commenter, autant il est illégitime de le publier dans un livre portant la signature de René Guénon.

C’est ce que certains ne parviennent pas à comprendre concernant l’intervention de M. Vâlsan dans les Symboles fondamentaux de la Science sacrée. Il ne devait en aucun cas y publier le contenu de l’Annexe III qui est son œuvre et non celle de René Guénon. Si tel n’était pas le cas, pourquoi alors M. Vâlsan serait le seul à ajouter son commentaire ? En fait, tous les correspondants de René Guénon devraient figurer dans cet ouvrage posthume à un titre ou à un autre.

Les « guénoniens » musulmans donnent souvent à cette intervention de M. Vâlsan une importance disproportionnée. Le « Triangle de l’Androgyne » n’y est d’ailleurs interprété que du point de vue de la seule tradition islamique. On peut tout aussi légitimement établir ce triangle dans le cadre de la tradition juive où l’on retrouvera par exemple le même AWM mais cette fois en hébreu. Le nom d’Adam, comme celui d’Eve, se compose également en hébreu de trois lettres que l’on peut disposer sur le triangle à la place respective des lettres arabes. L’alif-wâw-mîm devient ainsi aleph-waw-mem.

Il est significatif de voir avec quel abus les correspondants de René Guénon ont pu faire état des lettres reçues. L’exemple de M. Tourniac est particulièrement caricatural, une même lettre est parfois transcrite de façon différente... M. Reyor s’en sert pour se désigner comme une sorte de mandataire...On comprend alors le jeu de manipulations qui peut s’opérer lorsque ce ne sont plus les correspondants mais de simples tiers qui font usage de cette correspondance.

De la même façon que l’on ne peut empêcher qu’il soit écrit tout et n’importe quoi sur la vie de René Guénon, il est tout aussi utopique de croire que l’on puisse échapper au grand déballage de sa correspondance privée. Cette nouvelle « Fondation » paraît d’ailleurs très motivée par cet enjeu.

La question de l’interprétation du contenu d’une lettre est particulièrement délicate. René Guénon ayant affirmé qu’il n’avait pas de disciple et qu’il ne donnait pas de conseils particuliers. Il n’était censé répondre qu’à des questions relevant uniquement du domaine purement doctrinal. Voir notre dossier René Guénon et le Roi du Monde, pp. 161-163.

Mais ses correspondants n’ont pas pu ou pas su s’en tenir à cette règle et les questions posées s’éparpillaient dans tous les domaines. Ils ont voulu malgré tout considérer René Guénon comme leur maître et se placer dans l’état fictif du disciple.

Jamais blessant et toujours charitable, René Guénon s’est vu contraint de répondre à des questions d’ordre privé sans pour autant assumer un rôle de maître face à des disciples. Mais alors comment interpréter le contenu de ses lettres ?

La réponse à ce problème pourrait paraître simple, il suffit de ne publier que les informations doctrinales contenues dans les lettres et rien de plus. Mais en réalité cette scission est affaire de point de vue et pour certains ce qui peut apparaître comme du domaine privé peut être considéré par d’autres comme du domaine doctrinal (une indication adaptée à un seul individu et donc à ses qualifications propres et souvent limitées peut ainsi être prise comme une instruction valable pour tous et ceci bien que René Guénon n’ait jamais assumé un rôle de guide).

La seule solution consiste à publier les lettres intégralement. Non seulement les lettres réponses de René Guénon mais également les lettres du correspondant qui leur font pendant. Ce correspondant ne peut rester anonyme car selon les individus René Guénon pouvait orienter ses réponses et on ne peut apprécier cette orientation si l’on ne sait pas à qui il s’adressait.

On voit ainsi que pour commencer à se faire une idée du contenu de la correspondance, il faudrait voir publier des milliers de lettres parfaitement identifiables et intégralement reproduites. Sinon il est impossible d’harmoniser les apparentes contradictions. Une lettre isolée publiée sans indication de son destinataire ne peut qu’entretenir la confusion. Tous les discours qui sont actuellement faits en s’appuyant sur les rares lettres publiées (incomplètement le plus souvent) ou celles détenues sans légitimité si ce n’est celle toute aléatoire de l’héritage ne peuvent rien signifier de bien sérieux. On peut tirer tout et n’importe quoi de ces bribes de lettres. On peut faire dire à René Guénon ce que l’on veut, le faire mentir, le faire passer pour un maître qui guidait des disciples autoproclamés, etc.

Quant aux informations qui pourraient avoir un caractère purement doctrinal que doit-on en faire et que peut-on en faire sachant qu’elles sont purement marginales et qu’on est très loin de disposer de l’intégralité de leurs publications ? Il est bien certain dans tous les cas qu’aucune lettre ne viendra compléter les écrits de René Guénon de façon décisive: ceci serait contraire aux avis donnés par René Guénon concernant sa correspondance. Voir là encore notre dossier René Guénon et le Roi du Monde.

La correspondance de René Guénon est insignifiante vis-à-vis de son œuvre publique. On doit ainsi ne pas donner plus de place qu’il convient à cette correspondance. Elle n’est que l’expression d’une simple action de présence exercée par René Guénon.

Une publication parmi d’autres peut illustrer tout à fait notre propos : paru en Italie un ouvrage intitulé La corrispondenza fra Alain Daniélou e René Guénon 1947-1950 (A cura di Alessandro Grossato, Leo S. Olschki Editore, Firenze, 2002). Cet ouvrage reproduit en fac-similé 8 lettres de René Guénon à Alain Daniélou et 6 lettres d’Alain Daniélou à René Guénon. Il n’a même pas été possible de réunir le complémentaire des lettres. Quant au contenu, hormis les informations bibliographiques, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est plus que marginal. Mais sans doute certains y verront des données de la plus haute importance sans se rendre compte que tout cela peut se déduire sans difficulté de l’œuvre publique !

On peut peut-être mieux comprendre pourquoi le contenu doctrinal des lettres de René Guénon ne vient dans le meilleur des cas qu’illustrer l’œuvre publique en considérant le cas de Leibniz.

René Guénon dans son ouvrage sur Les principes du calcul infinitésimal reproduit certains passages de lettres de Leibniz. On n’ignore pas que Leibniz a peu publié de son vivant. La plus grande partie de son œuvre est ainsi restée à l’état de manuscrit ou même sous forme de simples notes que certains se sont efforcés et s’efforcent toujours de réunir et de publier. Sa correspondance apparaît ainsi comme la seule source pour connaître certaines de ses découvertes et sa publication revêt autant d’importance que le reste de son œuvre. On trouve dans cette correspondance des éléments qui ne figurent nulle part ailleurs et qui ne peuvent être déduits de son œuvre publique.

On comprend ainsi pourquoi il est parfois indispensable de citer sa correspondance.

Sous prétexte que René Guénon a fait usage de la correspondance de Leibniz, certains estiment qu’il est tout aussi indispensable de faire usage de celle de René Guénon.

Mais à la différence de Leibniz, René Guénon a pris le soin de rendre publique l’intégralité ou la quasi intégralité de ce qu’il avait à dévoiler et à enseigner. C’est pourrait-on dire le sens même de sa fonction. N’ayant pas de disciple, il se devait de ne rien réserver. On ne trouvera ainsi dans sa correspondance aucun élément déterminant, aucun élément qui ne peut se déduire de son œuvre publique.

On peut par contre très bien comprendre l’enjeu « commercial » éventuel de la publication de cette correspondance. Mais là encore après un massacre en règle de la publication de son œuvre, le coup de grâce viendra avec le grand déballage de sa correspondance et pourquoi pas de son intimité…

jeudi 1 novembre 2018

Tantrisme ou pseudo-tantrisme ?


Tantrisme ou pseudo-tantrisme ?


Le Tantrisme est vraiment à la mode. Il reste neutre face à l’affrontement des représentants modernes des traditions du Livre. De très nombreux sites sur internet lui sont dédiés. Et la revue Cahiers de l’Unité lui offre ainsi une place de choix.

M. Marc Brion qui se présente comme très informé des secrets les plus secrets puisqu’il sait tout de la génération spirituelle de René Guénon…(https://www.cahiersdelunite.com/generation-spirituelle-guenon), même si ce dernier n’a jamais rien indiqué à la différence de Râmana Maharshi notamment, nous livre dans le numéro 3 des Cahiers de l’Unité le secret des « Cinq Makâras ».


Cette revue recrute des auteurs extrêmement compétents, capables de donner les « expressions + régulières + de la conscience + de l’unité + essentielle de + toutes +  les formes traditionnelles ». Et ses auteurs « sont capables de comprendre les principes métaphysiques et d’en tirer les conséquences ». On attend donc de M. Brion quelque chose de particulièrement brillant comme son nom (ou son pseudonyme ?) nous le laisserait entendre.

Nous allons donc parcourir son article et oser le commenter.

La note 1 nous apprend que la description complète de ce rite tantrique  n’existe pas en raison de son caractère secret. On ne comprend pas alors si M. Brion va nous révéler ce secret ou au contraire entériner le fait qu’il est secret et donc qu’il n’a pas grand-chose, sinon rien, à en dire.

Dans sa simple traduction du titre, M. Brion n’est déjà pas très clair. Pancha-Makâras signifierait « Cinq M » [cela fait un peu penser au nom d’un groupe de rap «5 M » ou au « Chanteur M »]. Pancha correspond bien au nombre cinq mais Makâra ne peut pas être simplement traduit par « M ». Dans son analyse, M. Brion mentionne « kara » et non « kâra » et de plus il le traduit par « faire » ce qui est erroné. C’est la racine KRi (K et r voyelle) qui correspond au verbe « faire », « kara » tout comme « kâra » ne sont que des dérivations, signifiant respectivement  « ce qui fait » et « ce qui est la nature de ce qui fait = l’acte ». M. Brion n’a pas bien relu son texte puisqu’il oublie la voyelle longue (et donc l’accent circonflexe). Il parle ainsi de Ma-kara et non de Ma-kâra. Il s’agit donc des cinq rites par le son Ma (il n’y a pas vraiment de lettres en sanscrit mais uniquement des syllabes, la voyelle  « a » pouvant être modulée vers une autre voyelle).

M. Brion nous explique alors que cette pratique rituelle consiste à consommer pour les initiés de la viande, du poisson, du vin, des céréales grillées et à pratiquer l’union sexuelle. Hyper cool donc… Dans une note, M. Brion fait une longue citation (souligné par nous) :

« Voici comment une autre modalité, bien connue au demeurant et généralement désignée comme dakshinâchâra, a été évoquée oralement, en 1994, par une tantrika de Bakreshwar, au Bengale-Occidental : Les tantrikas « méditent sur les pañchamakâras, lesquels ont beaucoup de significations secrètes. Par exemple, madya n’est pas le vin, mais plutôt une [technique] spéciale de respiration (prânâyâma) qui emplit de puissance. Mâmsa (viande) signifie “silence”, c’est-à-dire le contrôle de la parole, tandis que matsya (poisson) représente le déroulement de l’énergie de la kundalinî qui ressemble à un poisson quand elle est éveillée (jagrata) […] Maithuna [acte sexuel] est la montée et la descente de la kundalinî dans la colonne vertébrale, lesquelles unissent les côtés droit et gauche, les moitiés masculine et féminine de la personne. Mûdra [céréales] désigne la transe [le samâdhi ou « enstase »] spontanée lorsque l’Esprit universel [le « Suprême Soi »] (Paramâtmâ) et l’“âme vivante” (jîvâtmâ) sont unis. Les relations des différents doigts de la main, auxquels la plupart des gens pensent quand il est question de mûdras, représentent en réalité ces rapports à un degré plus profond. Par exemple, le pouce représente l’Esprit universel [le « Suprême Soi »] et l’index correspond au “moi individuel” ; le mudrâ lors duquel ils se touchent représente leur union. Le troisième doigt [le médius] est Shaktî, le quatrième est Shiva et le cinquième est Dakini ou Yoginî. Les mudrâs surviennent spontanément lorsque les gens sont en transe [en samâdhi] ». »

S’agit-il du fameux secret qui nous est révélé par cette tantrika bengalaise ?  Non, mais un simple jeu de correspondances, certaines un peu douteuses, que l’on pourrait multiplier indéfiniment sans rien dire sur le fond ni parvenir à bien grand-chose.

M. Brion va alors nous distiller de longues citations de l’œuvre de René Guénon. Il explique ainsi ce qu’est un rite, un symbole, etc. Puis il va dénoncer les erreurs modernes concernant le tantrisme avec toujours de longues citations de l’œuvre de René Guénon.

Il en vient à écrire ceci:

« Le rite des « Cinq M » est une méthode de réalisation qui relève des applications « techniques » de la doctrine dans sa dimension ésotérique. Il entre d’autant moins en conflit avec la smriti qu’il est normalement strictement secret. »

Puis en note (souligné par nous) :

     «  À notre époque, en Inde, sous la pression et les menaces de l’exotérisme, de sa variante déviée de caractère politico-idéologique puritaine, de l’influence occidentale ou des « clubs communistes contre la superstition », les doctrines et les méthodes du véritable Tantrisme ne sont pas secrètes désormais, comme ce fut toujours plus ou moins le cas, mais extrêmement secrètes. »

Logiquement, M. Brion ne devrait plus pouvoir nous dire quoi que ce soit sauf à nous parler du pseudo-tantrisme, le seul que l’on connaisse aujourd’hui. Mais pourtant il poursuit, on peut ainsi lire un peu plus loin (souligné par nous) :

« Certains ont voulu expliquer le rituel des « Cinq Makâras » par la nécessité de dépasser l’attachement à des formes extérieures ou pour « transcender le pur et l’impur », mais ces aspects ne peuvent avoir qu’un rôle subsidiaire puisque les rites ésotériques ne sont pas dépendants de l’exotérisme. Comme nous l’avons vu, le rite relevant exclusivement du domaine initiatique, la transgression ne peut être qu’apparente. Évidemment, nous ne parlons pas des déviations ou des parodies du rite qui, elles, sont transgressives puisqu’elles relèvent du domaine de l’erreur. Si la « transgression », envisagée à des fins spirituelles, était la raison d’être de ce rite, toutes ses composantes seraient interdites par les lois qui régissent le domaine exotérique, or ce n’est pas le cas. Ainsi, la consommation de céréales (mudrâ) n’a strictement rien de transgressif pour aucun des membres de la tradition hindoue. Pour la viande (mâmsa) et le poisson (matsya), la question est beaucoup moins tranchée et plus complexe qu’on ne le croit en général, mais ce caractère est également inexistant pour une partie des membres de la tradition hindoue admis à l’initiation, ne serait-ce notamment que pour les shûdras et les chândâlas, et aussi pour les mlecchas, même si ceux-ci ne furent jamais qu’une minorité. En tout cas, on peut remarquer qu’il n’a un tel caractère que pour les hindous smârtas (qui suivent strictement la smriti). »

On peut se demander si M. Brion sait de quoi il parle et de qui. Ainsi moins on est qualifié et plus on est apte à suivre la voie tantrique, très adaptée donc aux basses castes, aux hors castes et aux étrangers à la tradition hindoue. On croirait entendre le discours d’un évangéliste qui vous promet le Paradis pour tous et sans effort. Nous avons affaire à une sorte de tantrisme pour les nuls tout à fait en accord avec la grande illusion propre à la fin du Kali-Yuga.

M. Brion comme la tantrika du Bengale paraît apprécier lui aussi les correspondances improbables comme par exemple à propos des « Trois M » (Tri-Ma), Mâmsa, Madya et Maithuna. Il indique en note :

« La réduction des cinq offrandes (upachâra) à trois, qui sont les plus importantes, est à mettre en correspondance avec les trois mondes : sensible, subtil et spirituel. »  

Puis un peu plus loin, avec une assurance totale, il dépose toutes ces correspondances d’une traite :

« Les « Cinq M » correspondent ainsi aux cinq sens et aux cinq Éléments : Mudra, céréale, au sens de l’odorat et à l’élément Terre ; Matsya, le poisson, au goût et à l’élément Eau ; Madya, le vin, à la vue et au Feu ; Mâmsa, la viande, au toucher et à l’Air ; Maithuna au sens de l’ouïe et à l’Éther. Le rite des « Cinq Makâras » représente en réalité un processus de résorption des différents éléments constitutifs de la manifestation individuelle dans leur principe. Il offre ainsi la possibilité de sortir des conditions individuelles en s’affranchissant des déterminations particulières et limitatives (upâdhi) de l’existence corporelle, qui sont regardés comme autant de liens. Loin d’encourager ou de promouvoir ce dont les profanes l’accusent, à savoir un prétexte à des comportements hédonistes et licencieux ou à une exacerbation déréglée des sens, le Tantrisme, avec le rite initiatique des Pañcha-Makâras, vise au contraire à la disparition ordonnée de toute « sensualité ». »  

Et ainsi nous avons droit à sa note 48 en rapport avec les conditions individuelles (souligné par nous) :

 « À partir des doctrines hindoues, René Guénon a établi les correspondances existant entre les cinq éléments et les cinq sens dans « Kundalinî-Yoga » et dans « La théorie hindoue des cinq éléments » : à la Terre correspond l’odorat ; à l’Eau, le goût ; au Feu, la vue ; à l’Air, le toucher et à l’Éther, l’ouïe. Il a également mis les éléments et les sens en correspondance avec les cinq conditions de l’existence corporelle : l’espace, le temps, la matière (dont le nombre est le véritable fondement), la forme et la vie; ce que Palingénius réunit en une seule définition en disant qu’un corps est « une forme matérielle vivant dans le temps et dans l’espace » (« Les conditions de l’existence corporelle », La Gnose, 1912, p. 10). Dans ce texte, il a établi que le temps correspond à l’Éther et au sens de l’ouïe, l’espace étant en correspondance avec l’Air et au sens du toucher (Sur le rôle du sens du toucher dans le Tantrisme, cf. Ernst Fürlinger, The Touch of Śakti. A Study in Non-dualistic Trika Śaivism of Kashmir, New Delhi, 2009). La publication de la revue La Gnose ayant été interrompue, la suite de son étude n’a pas été publiée, ni sans doute rédigée. Il n’a donc pas donné les autres correspondances. On pourrait néanmoins considérer que la forme correspond au Feu et à la vue, la vie à l’Eau et au goût, et le nombre (ou la matière) à la Terre et à l’odorat. Cependant, d’après quelques notes de Guénon remontant à fin 1910 - début 1911, mais auxquelles on ne peut toutefois pas donner un caractère définitif en raison de leur nature apparemment « provisoire », et qui figurent dans un document aimablement communiqué par M. Brecq intitulé : « Les conditions de l’existence corporelle. Correspondances avec les sens et les éléments », la matière (ou le nombre) correspondrait à l’Eau et au goût, et la vie à la Terre et à l’odorat. Quoi qu’il en soit, ces cinq conditions sont celles dont l’ensemble définit l’existence corporelle, qui est naturellement prise comme point de départ pour la réalisation aboutissant à la Délivrance. Celle-ci implique que l’être est libéré du temps, de l’espace, du nombre (qui est la base de la « matière »), de la forme et de la vie (même si cette Délivrance est accomplie « dans la vie »). »

M. Brion fait ainsi passer René Guénon pour un parfait idiot, pour un auteur qui ne sait pas ce qu’il veut et doit écrire, qui patauge. On ne peut pas être plus méprisant. Ainsi avec l’amabilité extrêmement suspecte de M. Brecq, Marc Brion cherche à porter un rude coup à la crédibilité de l’œuvre de René Guénon.

D’après lui il n’y a que pour René Guénon que ce n’est pas évident. D’après lui donc René Guénon n’y comprend rien. René Guénon n’étant plus là pour le remettre à sa place, alors M. Brion, à qui on ne demande rien, s’autorise à pérorer. Et puis il a eu connaissance de ce document manuscrit top secret : « Les conditions de l’existence corporelle. Correspondances avec les sens et les éléments » détenu par M. Brecq et alors René Guénon n’est plus qu’un jouet qu’on manipule. Attitude répugnante qui sent le soufre. M. Brion déclare : « quoiqu’il en soit », en gros il s’en moque complètement de ce que peut bien écrire René Guénon. Mais alors pourquoi écrire cette note, puisqu’il ne sait rien. Dans un cas comme cela, on se tait. Mais non, M. Brion se gargarise avec cette orgie tantrique de citations de l’œuvre de René Guénon, pour lui il n’est qu’un faire-valoir, mais sur le fond il se moque complètement de cette œuvre.

Ainsi René Guénon qui avait établi cette liste avec toute l’étendu de sa Connaissance n’aurait pas su lui-même à quoi elle pouvait bien correspondre. Cette liste n’est pas le fruit d’une traduction de termes orientaux. Cette liste a été élaborée avec des termes en français et seulement en français. Chaque terme a été minutieusement choisi par René Guénon et par lui seul.

Et c’est M. Brecq qui a donné tous les éléments utiles à cette déstabilisation mémorable. M. Brecq qui passe son temps à s’auto-décerner toutes les imprimaturs, qui déclare agir avec toutes les autorisations officielles, qui est le plus « traditionnel » parmi les représentants de la tradition. M. Brecq, qui doit tout à René Guénon, ne trouve rien de mieux à faire que cette ânerie pour le remercier. L’âne qui porte des reliques. On l’a vu faire cette déclaration (Cahiers de l’Unité, n°3 https://www.cahiersdelunite.com/postface-orient-occident, note 19) :

« Puisque l’occasion nous est donnée, nous nous permettrons d’ajouter que plusieurs auteurs, alors qu’ils rédigeaient telle ou telle de leurs études, nous ont sollicité pour savoir si René Guénon avait écrit sur certains sujets précis en dehors de ses ouvrages. Dans la mesure où leurs travaux présentaient les garanties d’orthodoxie traditionnelle, nous avons toujours répondu favorablement aux demandes qui nous ont été faites. C’est ce qui explique que l’on trouve dans leurs livres ou articles des passages de Guénon provenant de notre fonds de textes inédits.

Mais quand va-t-il cesser ce petit jeu funeste, cette singerie. M. Brion présente-t-il vraiment toutes les garanties d’orthodoxie traditionnelle ? Et M. Brecq peut-il en être juge ? Quand enfin prendra-t-il conscience qu’il serait temps de faire quelque chose d’honnête et de sensé avec SON fonds de manuscrits ? Quand prendra-t-il conscience qu’il n’est pas René Guénon et qu’il n’en a certainement pas l’autorité ?

L’œuvre imprimée et manuscrite de René Guénon


L’œuvre imprimée de René Guénon



Nous ne sommes plus au Moyen-âge et par conséquent l’œuvre primitivement manuscrite de René Guénon n’est pas passée entre les mains des copistes d’un scriptorium. Son œuvre est une œuvre imprimée et uniquement imprimée. Ce n’est pas un discours oral, ni une œuvre calligraphiée mais une œuvre passée résolument entre les mains des typographes. Pour cette œuvre c’est l’imprimé qui fait autorité.

Nous ne sommes plus au temps des ouvrages copiés sur parchemin. Le codex qui avait remplacé le volumen, comme le papyrus (végétal) avait remplacé le parchemin (animal), n’est plus d’actualité. Le papier (mécanique) a tout supplanté : passé sous la presse qui exprime l’encre, le texte y laisse alors son empreinte qui peut se décliner à des milliers d’exemplaires uniformisés.

Sur des parchemins, voilà comment Dante pouvait conserver ses œuvres. Un poème prononcé en public ou écrit de la main du poète pouvait aboutir à diverses copies manuscrites faites aussi bien de mémoire. Ainsi se diffusait cet œuvre  parmi les lettrés de l’époque. Celui qui voulait lire une des œuvres de ce célèbre poète ne pouvait le faire que s’il en obtenait une copie manuscrite en espérant qu’elle soit aussi fidèle que possible aux manuscrits écrits de la main de Dante. Boccace aura ainsi copié la Commedia dont on a conservé le précieux manuscrit (https://www.wdl.org/fr/item/10650/).

Ceux qui ont lu René Guénon ont lu ses articles et ses livres tous imprimés et parus chez divers éditeurs. La version qui fait autorité est donc celle qui est imprimée quoique l’on dise. Pour un texte donné on peut envisager deux possibilités. Ce texte n’a connu qu’une édition du vivant de l’auteur et c’est ce texte unique qui fait référence (l’auteur ayant pu éventuellement faire connaître un errata de son vivant). Si le texte a connu plusieurs éditions sa forme ultime (dernière édition revue par l’auteur) représente la version de référence. Mais on aura alors à en relever les variantes qui devront être signalés dans la réédition posthume de l’œuvre puisqu’une partie des lecteurs de cette œuvre en auront connu les premières versions.

Lorsqu’un auteur s’en remet à la technique de l’imprimerie mécanique, il en devient tributaire. Certaines choses lui échappent alors. L’auteur a beau faire tout ce qu’il peut pour relire les épreuves et signaler les erreurs et coquilles, c’est l’imprimeur qui a le dernier mot au propre comme au figuré. On peut à ce titre penser à Erasme qui préférait dormir au plus près de la presse pour être bien certain que les corrections seraient faites. René Guénon n’a jamais dormi à ma connaissance chez son imprimeur. Ses livres pour être imprimés sont passés entre d’autres mains que les siennes et lui ont en quelque sorte échappé. Lorsqu’ils sont en librairie, les livres n’appartiennent plus alors qu’aux lecteurs potentiels. Ce que chacun a connu de l’œuvre de René Guénon c’est ce qui a été effectivement imprimé, ce n’est pas toujours ce qu’il avait primitivement écrit dans ses manuscrits. Et c’est bien la providence divine mais aussi le destin qui en ont ainsi déterminé la forme définitive.

Maintenant quelle peut être la place des manuscrits éventuellement conservés des textes qui ont été imprimés et publiés ? Ces manuscrits lorsqu’ils ont été conservés n’ont qu’une valeur complémentaire et ne sont pas la référence. L’œuvre imprimée seule domine et fait autorité. On ne peut ainsi entériner la démarche de M. Brecq qui a publié notamment dans le numéro 3 des Cahiers de l’Unité une édition qu’il déclare comme « première édition complète - 1925 » d’un article de René Guénon publié dans la revue le radeau. (https://www.cahiersdelunite.com/orient-et-occident)

Il n’y a de ce texte qu’une seule véritable édition : celle publiée en 1925, celle que l’on peut lire dans les exemplaires de la revue parus à cette époque. René Guénon, à ma connaissance, n’ayant pas fait paraître par la suite d’errata, c’est cette seule édition imprimé en 1925 sur papier qui fait autorité. D’après M. Brecq, René Guénon aurait indiqué dans un courrier que son texte avait été abrégé. M. Brecq qui, nous dit-il, dispose du manuscrit de ce texte peut ainsi reproduire ces passages manquants. Fort bien, c’est fantastique. Mais sur le fond cela ne change rien. On ne peut aller contre la volonté du Ciel. La seule véritable version, la seule « première édition », de ce texte est bien celle imprimée en 1925.

M. Brecq voudrait réécrire l’histoire et aller contre cette volonté. La seule chose adéquate qu’il puisse faire, c’est de republier le texte tel qu’il a été imprimé dans la revue le radeau et y joindre un ensemble de notes pour y indiquer les variantes constatées avec le texte manuscrit dont il dispose (variantes qui peuvent être aussi bien des oublis que des ajouts). Que ferait M. Brecq s’il constatait qu’un passage dans la version imprimée validée par René Guénon d’un autre texte ne figure pas dans la version manuscrite dont il dispose ? Il publierait alors une « première édition incomplète ».

M. Brecq n’est pas le seul à prendre des libertés avec l’œuvre de René Guénon. Nous devons rappeler le cas beaucoup plus grave que l’on a pu constater dans la traduction anglaise de l’ouvrage posthume publié sous le titre français Symboles fondamentaux de la Science sacrée.

Dans l’édition intitulée « Fundamental Symbols, the Universal Language of Sacred Science », (Compiled and edited by Michel Vâlsan, translation by Alvin Moore Jr, revised and edited by  Martin Lings),  publiée par les éditions Quinta Essentia, (en ligne actuellement ici : https://fr.scribd.com/document/99174310/Rene-Guenon-Fundamental-Symbols-the-Universal-Language-of-Sacred-Science), on peut lire concernant l’article La Science des Lettres:

« It is a question, therefore, of that primeval Syria of which Homer speaks as a insland ’beyong Ortygia’ (which identifies it with the Hyperborean Tula), an island ‘where are the revolutions of the sun’.

Avec une note de l’Editeur qui débute ainsi:

« Odyssey, 15, 403-4. For Ortygia the French edition has Ogygia (the Isle of Calypso) which is clearly a mistake… »

L’Editeur de sa propre autorité corrige donc René Guénon estimant qu’il a commis une erreur.

La même situation (texte directement modifié mais sans l’ajout d’une note) se retrouve concernant l’article intitulé la Terre du Soleil.

Signalons que dans l’édition intitulée Symbols of Sacred Science, publié par les éditions Sophia Perrennis, (traduction de Henry Fohr), ces articles sont traduits sans commentaire et en respectant le texte original.

Voyons plus précisément ce qui figure dans la version française de ces textes.

Dans l’article intitulé La Science des lettres publié en février 1931 dans Le Voile d’Isis (repris SFSS, ch. VI, p. 69), René Guénon écrit:

« Il s’agit donc de cette Syrie primitive dont Homère parle comme d’une île située "au-delà d’Ogygie", ce qui l’identifie à la Tula hyperboréenne, et "où sont les révolutions du Soleil". D’après Josèphe, la capitale de ce pays s’appelait Héliopolis, "ville du Soleil", nom donné ensuite à la ville d’Égypte appelée aussi On, de même que Thèbes aurait été tout d’abord un des noms de la capitale d’Ogygie. »

Dans l’article intitulé La Terre du Soleil publié en janvier 1936 dans les Études Traditionnelles (repris SFSS, ch. XII, p. 116), il rappelle ce qu’il avait écrit dans La Science des lettres:

« la Syrie primitive dont le nom signifie proprement la "terre solaire", et dont Homère parle comme d’une île située "au-delà d’Ogygie", ce qui permet de l’identifier qu’à la Thulé ou Tula hyperboréenne; et "là sont les révolutions du Soleil", expression énigmatique qui peut naturellement se rapporter au caractère "circumpolaire" de ces révolutions (...) »

Si l’on se reporte à l’Odyssée (XV, 403-404), on peut y lire:

« (...) On appelle Syrie (Surih) une île qui se trouve au-delà (en haut, au-dessus) d’Ortygie (Ortugia), où sont les révolutions (tropos) du Soleil. »

René Guénon  a donc résolument remplacé le nom d’Ortygie par celui d’Ogygie dévoilant ainsi ce qu’Homère avait laissé dans l’obscurité. A notre connaissance, l’île d’Ortygie n’est jamais mentionnée dans son œuvre. Ce nom ne serait donc qu’une simple émanation beaucoup plus récente de celui d’Ogygie qui d’une certaine façon ne serait là que pour le dissimuler ou pour le refléter.

On pourra consulter notre article publié sur ce blog intitulé Ortygia - Syracusa – Sicilia

Dans l’Odyssée (chant V, v. 55), on nous parle d’une île qui est « au bout du monde », où, dans une « grande caverne », la nymphe Calypso avait fait sa demeure. On doit comprendre que cette île est celle d’Ogygie. Le nom « calypso » peut être rapproché du verbe kaluptein qui signifie « cacher ».

René Guénon dans son ouvrage sur le Roi du Monde, (ch. IX) indique:

« Cette division de l’Irlande en quatre royaumes, plus la région centrale qui était la résidence du chef suprême, se rattache à des traditions extrêmement anciennes. En effet, l’Irlande fut, pour cette raison, appelée l’« île des quatre Maîtres », mais cette dénomination, de même d’ailleurs que celle d’« île verte » (Erin), s’appliquait antérieurement à une autre terre beaucoup plus septentrionale, aujourd’hui inconnue, disparue peut-être, Ogygie ou plutôt Thulé, qui fut un des principaux centres spirituels, sinon même le centre suprême d’une certaine période. »

Et dans l’article intitulé Le symbolisme des cornes publié en novembre 1936 dans les Études Traditionnelles (repris SFSS, ch. XXVIII, p. 203, note 1), il écrit:

« La mer qui entourait l’île d’Ogygie, consacrée à Karneios ou à Kronos, était appelée mer Kronienne (Plutarque, De facie in orbe Lunæ); Ogygie qu’Homère appelle "le nombril du Monde" (représenté plus tard par l’Omphalos de Delphes) n’était d’ailleurs qu’un centre secondaire ayant remplacé la Thulé ou Syrie primitive à une époque beaucoup plus proche de nous que la période hyperboréenne. »



L’œuvre manuscrite de René Guénon


Toute l’œuvre de René Guénon est manuscrite, rien de mécanique. C’est seulement lorsqu’elle tombe entre les mains des imprimeurs qu’elle se typographie.

Elle est éminemment synthétique. Dès les premiers textes tout est déjà en place. L’expression en sera simplement de plus en plus maîtrisée aux cours des différents cycles de l’écriture. On peut ainsi suivre la mise en forme définitive des livres dans le réemploi des articles parus dès les origines. Comme ceux de La Gnose ou de la FAM qui aboutiront à des livres comme Le Symbolisme de la Croix ou L’Esotérisme de Dante.

Pour prendre une expression du langage commercial, la production des textes de René Guénon s’est toujours faite à « flux tendu ». On le comprend lorsqu’en décembre 1950, la rédaction des Etudes Traditionnelles fera paraître cette note :

« Le travail de M. René Guénon ne nous étant pas parvenu en temps opportun pour le présent numéro, nous pensons intéresser nos lecteurs en publiant la traduction d’un article de notre éminent collaborateur paru dans une revue arabe il y a une vingtaine d’années ».

Aucun article n’était en attente. Et René Guénon souffrant n’avait visiblement pas d’articles déjà prêts à envoyer. On peut donc penser qu’il n’a pas laissé d’articles totalement inédits. Ce que l’on pourrait s’attendre à retrouver ne devrait être que des versions d’articles prévues pour paraître et qui pour une raison ou pour une autre n’ont pas été publiés à ce moment convenu. Ces articles demeurés alors inédits ont très vraisemblablement fait l’objet d’un réemploi plus ou moins complet sous une forme légèrement modifiée selon l’habitude de leur auteur.

René Guénon a donc pu, en plusieurs cycles, exposer et faire imprimer de façon satisfaisante tout ce qu’il convenait de dire pour apporter aux Occidentaux cette doctrine qui leur faisait si cruellement défaut depuis déjà plusieurs siècles.

Connait-on l’histoire des manuscrits de René Guénon ?

Au tout début de l’année 1986, notre adresse avait été communiquée à M. Patrice Brecq qui, comme nous, cherchait à rassembler tous les textes de René Guénon non encore repris dans les ouvrages posthumes. Dans le courant de l’année 1986, nous avions ainsi communiqué à M. Brecq des copies de textes que nous avions rassemblés et qui lui manquaient. Plus de dix ans plus tard, en juin 1998,  M. Brecq a repris contact avec nous pour nous demander de le renseigner sur la publication d’une revue où nous avions partie prenante. Et enfin nos échanges épistolaires ont définitivement pris fin avec cette lettre d’octobre 1999, où M. Brecq nous avez fait part d’une nouvelle assez incroyable :

« Au sujet de la recherche des articles publiés par René Guénon, mais non repris à ce jour dans les ouvrages posthumes, je me permets de vous informer que, depuis quelques temps, je suis en relation régulière avec quelqu’un qui possède l’intégralité des écrits de Guénon. Non seulement il détient les textes que vous et moi cherchons depuis bien des années, mais encore il conserve les manuscrits originaux des livres, articles, comptes rendus publiés ; de très nombreux documents inédits écrits par Guénon lui-même, ainsi que des correspondances (lettres originales ou copies).

Mon intention de rassembler les écrits publiés, mais épars, de René Guénon est devenue caduque : je ne peux que m’effacer devant le projet de celui qui possède tout le « dépôt écrit » guénonien, et qui est aussi la personne la plus à même de réaliser l’édition de l’ « Œuvre complète », alors que je ne puis prétendre, de mon côté, qu’à une publication intéressante, mais bien partielle.

D’autre part, si j’ai eu l’occasion de consulter, notamment, les numéros de la revue « El Ma’rifah », et de lire aussi les articles manuscrits de « Vers l’Unité », je n’en possède toutefois pas de copies.

J’espère que tous ces « trésors », comme le souhaite d’ailleurs leur propriétaire, seront prochainement publiés, accompagnés, chacun, de la présentation qui convient. »

On comprend à la lecture de cette lettre que M. Brecq n’a, à aucun moment, pensé à nous communiquer la moindre copie d’un quelconque document.  De notre côté, nous sommes resté vraiment perplexe devant le caractère tout-à-fait sensationnel de son annonce.

En 2001 les éditions Archè ont eu la détestable idée de publier un ouvrage intitulé Psychologie. Prudent avec sa mention « René Guénon, attribution », l’éditeur (sachant très bien que ce texte était plus que douteux) y a vu l’occasion de se faire un peu d’argent au détriment du droit moral de René Guénon. On peut regretter que ce livre n’ait pas été immédiatement pilonné. Car on comprend dés la première phrase du premier chapitre (p. 45, souligné par nous) que ce texte ne peut appartenir à l’œuvre de René Guénon :

« Quand on parle de psychologie il peut s’agir de deux choses très différentes qu’il est indispensable de bien distinguer tout d’abord: d’une part, la psychologie métaphysique, c’est-à-dire la connaissance de l’âme envisagée en elle-même dans sa véritable nature, et d’autre part, la psychologie proprement dite, positive ou expérimentale, qui est seulement l’étude des phénomènes mentaux et qui par suite doit être regardée comme une science de faits au même titre que les sciences physiques et physiologiques. Nous n’avons à nous occuper que de cette dernière. »

Cette formule suffit à rayer définitivement ce livre de la liste des œuvres de René Guénon. C’est injurier René Guénon que de laisser croire qu’il ait pu vouloir subordonner la métaphysique à la psychologie, le domaine de la psychologie étant rigoureusement nul devant celui de la métaphysique, comme l’indéfini peut l’être devant l’Infini.

Il faudra attendre 2003 pour apprendre que le contenu de ce livre n’était qu’un extrait d’un cours rédigé par René Guénon pour enseigner la philosophie à des lycéens. Ce cours de philosophie n’était donc qu’un outil de travail censé lui faciliter la tâche et rien d’autre. Croire qu’il ait pu avoir l’idée de l’intégrer tel quel dans son œuvre et de le publier est une absurdité. La question ne devrait pas se poser et pourtant elle se pose. Mais alors pourquoi René Guénon n’a-t-il pas fait publier ce cours écrit pendant la Grande Guerre, il en a eu pourtant toutes les opportunités ?

En 2003, la revue Science sacrée a publié un numéro spécial consacré à René Guénon.


On y trouve la première intervention de M. Brecq concernant ce cours avec de nombreuses explications et notamment un commentaire sur l’emploi de l’expression « psychologie métaphysique ».

On peut le lire à la suite du texte suivant  « Cours de philosophie (René Guénon) : ( Lire en pdf "Préliminaire" : Les degrés de la connaissance) », dans l’article de M. Brecq « un professeur de philosophie, suite », p. 404-405 :

« L’expression ‘psychologie métaphysique’ pourrait surprendre. Or, nous la trouvons bien, écrite par Guénon lui-même, dans le premier manuscrit, et le second ne fait que renvoyer au passage qui la contient. Faut-il aussi rappeler que nous avons affaire, ici, à un cours de philosophie, et qu’on ne saurait donc faire grief à un professeur de philosophie, fût-il Guénon, d’utiliser, pour ses élèves, des termes et expressions appartenant en propre au vocabulaire philosophique ? »
On pourrait s’attendre alors à voir M. Brecq nous déclarer que ce cours est sans réel intérêt et qu’il ne peut être compté parmi les œuvres de René Guénon. Mais pas du tout. Il y voit une Œuvre, un grand texte, traditionnel, métaphysique, spirituel et que sais-je encore. Il éprouve même le besoin de convoquer A. K. Coomaraswamy qui confirme par ailleurs « qu’il n’y a pas de psychologie empirique en Inde » et que  « la psychologie indienne est fondée sur la métaphysique » (p. 408). Parler de « psychologie indienne » est un concession avec la modernité bien discutable, la notion stricte de « psychologie » n’apparaissant pas en sanscrit. Le mot psychologie a beau être un terme moderne qui n’a rien de traditionnel, rien n’y fait, M. Brecq, qui marche sur la tête, veut à tout prix défendre ce texte effectivement écrit par René Guénon mais dans un contexte privé qui l’exclut de son œuvre véritable.

Mais, alors, faudrait-il considérer notamment les déclarations d’impôts de René Guénon comme faisant partie de son œuvre et ayant une dimension traditionnelle sous prétexte qu’il les a écrites de sa main ?

Imaginons que l’œuvre complète de René Guénon ait disparu de la surface de la terre et qu’il ne nous reste que ce cours de philosophie sans indication du nom de son auteur. Y verra-t-on l’équivalent de l’âtma-bodha de Shankara ou d’un autre texte métaphysique de même portée dans une autre tradition ? Non, bien évidemment. Ce texte n’attirerait pas l’attention, on n’y verrait qu’un simple « cours de philo du début du XXème siècle » certes bien structuré avec des conclusions de bon sens mais « puéril » au premier sens du terme puisqu’il s’adresse à des très jeunes.

René Guénon ayant enseigné également le latin et le français à des enfants ou à des adolescents, après la publication de ce cours de philosophie, faudra-t-il s’attendre à voir paraître celui de français ou celui de latin ? Les élèves de René Guénon n’ayant pas toujours été d’un très haut niveau. Doit-on s’attendre à voir paraître ce cours de latin sous le titre « grammaire latine pour les nuls » ?

Mais que cache cette démarche absurde, cette divulgation d’actes de la vie privée ? Pourquoi vouloir absolument polluer l’œuvre de Guénon ?

La question n’est d’ailleurs pas de savoir si ce cours doit être qualifié de « traditionnel », de « profane » ou autrement. Il suffit de comprendre qu’il appartient à la vie privée de René Guénon et que ce texte n’a été conçu que pour enseigner à des lycéens dans le cadre étroit du programme de l’éducation nationale de cette époque.

Lorsque l’on voit les photos de Râmana Maharshi assis sur son sofa lisant le journal faut-il s’interroger et se demander s’il s’agit d’un acte traditionnel ou d’un acte profane ? (Voir une photo reproduite plus bas).

Comme tout individu immergé dans le monde moderne, René Guénon (comme Râmana Maharshi) pouvait avoir des activités que l’on pourrait qualifier de « modernes ». Avoir  un « job » pour Guénon ou lire « le journal » pour Râmana. Les « guénoniens », « orthodoxes ou non», perdent vraiment tout bon sens.

M. Brecq poursuivra sa publication d’extrait du cours de philosophie dans le dernier numéro (n°7) de Science sacrée, en 2005, avec « les principes logiques ».

Signalons que cette revue avait publié en 2004, dans son numéro 5-6, un article inédit de René Guénon. La seule publication significative dans cette revue concernant René Guénon. L’article s’intitule L’idée de l’Infini. M. Brecq fait une très longue présentation. Il s’agit en fait du texte d’une conférence prononcée et qui aurait pu être publié par la suite dans une revue mais qui ne l’a pas été.

Six ans ont passé et M. Brecq a retrouvé une tribune avec la revue Vers la Tradition. Dans son numéro 123  (mars-mai) de 2011 que trouve-t-il de plus utile à faire ? Puiser dans les « trésors » et publier de vrais inédits ? Non. Il choisit encore une fois de polluer l’œuvre de René Guénon avec un nouvel extrait de ce cours intitulé cette fois : « Conscience, subconscience et inconscience »…

Et dans le grand chambardement de la revue, c’est encore et toujours le cours de philosophie qui s’étale dans le numéro 127 (mars-mai) de Vers la Tradition (« les principes logiques » toujours) et dans l’étonnant numéro 128 (juin-août) de 2012 de La Revue Tradition (« la méthode mathématique » et des remarques sur « les principes logiques »)

Pour les curieux de la guéguerre entre les « guénoniens », on peut se reporter au blog de M. M. Rouge qui en tant que témoin majeur en fait un historique, enfin son historique.


Sur ce même blog, on trouve des indications sur le contenu des « inédits » dont M. Brecq nous avez parlé dans son courrier. Ces « trésors » existent donc bien. Ils sommeillent donc depuis 1999 et certainement depuis beaucoup plus longtemps encore (1951 ?). Les simples lecteurs n’ont été autorisés à n’en voir que deux piécettes dont l’une semblait ne pas devoir être révélée. Le personnage mystérieux dont parle M. Brecq dans sa lettre que fait-il ? Il nous fait vraiment penser à cet ami dont Erasme nous parle dans son commentaire d’un adage. Nous reproduisons plus bas l’extrait correspondant qui est toujours aussi parlant aujourd’hui qu’il l’était au XVIème siècle.


« Il y a encore un autre type de documents inédits : il s’agit des notes qu’il [René Guénon] a rédigées tout au long de sa vie. Elles sont contenues dans deux ensembles : le Document I concerne le domaine traditionnel, et comprend 1120 pages ; le Document II traite principalement de théologie et de philosophie, sur 296 pages (notes prises entre 1914 ou 1915 et 1924). Ils sont constitués, d’une part de la copie de passages extraits de livres et d’articles, lus par Guénon, et parfois annotés par lui ; d’autre part, de considérations, observations ou réflexions consignées par Guénon, pouvant s’étendre sur plusieurs pages. En fonction des sujets qu’il traitait, il les intégrait telles quelles dans ses propres écrits, signalant sur les manuscrits qu’elles étaient désormais reprises. Mais nombre de ces notes restent inédites. »

M. Brecq a trouvé un nouveau support d’expression avec la revue canadienne les Cahiers de l’Unité. Faut-il s’attendre à y voir paraître la suite inépuisable du « cours de philosophie » à défaut d’éventuels inédits ?

Voici l’extrait traduit du latin du texte d’Erasme annoncé plus haut (Adages, collection Bouquins, Robert Laffont, 1992, p. 136) :

« Soyez maintenant attentifs à la franchise d’un mien ami de ce côté des Alpes, l’un de mes plus chers amis en fait, et qui n’a jamais cessé de l’être, car nous devons apprendre à connaître le caractère de nos amis et non pas les haïr. Quand je préparais l’édition vénitienne [des Adages], le hasard m’avait fait remarquer dans sa bibliothèque un Suidas [encyclopédie en grec] dont les marges comportaient des transcriptions de proverbes. L’œuvre était énorme, et il fallait parcourir un grand nombre de volumes. Souhaitant donc m’épargner cette peine, je lui demandai de disposer de l’ouvrage, ne fût-ce que pour quelques heures, pendant lesquelles mon jeune assistant reporterait ces annotations dans mon manuscrit. Malgré mes demandes réitérées, je me heurtai à son refus. Ayant usé sans succès de toutes les formes de supplication ou de prière, je lui demandai s’il avait lui-même l’intention de publier un recueil de proverbes, auquel cas j’abandonnerais très volontiers la partie en faveur d’un savant qui traiterait cette matière avec plus de bonheur. Il jura ses grands dieux qu’il n’en avait aucune envie. « Quels sentiments t’animent alors ? », répliquai-je. A la fin, comme s’il y était contraint par la torture, il me fit cet aveu : « On veut répandre aujourd’hui dans le public des écrits qui étaient jusqu’alors la possession exclusive de savants, ce qui leur valait l’admiration des foules. » Hinc illae lachrymae [d’où les larmes]. Il existe, cachés dans des collèges et des monastères d’Allemagne, de France et d’Angleterre, de vieux manuscrits que leurs propriétaires, à l’exception d’un petit nombre, ne communiquent pas volontiers ; tant et si bien que, même quand ils sont réclamés, ils les cachent, ou ne prétendent ne pas les posséder, ou encore en monnayent l’usage à des prix exorbitants, dix fois la valeur des manuscrits. Enfin ceux qui conservés avec le plus de soin sont corrompus par l’usure et par les teignes, à moins qu’ils ne soient emportés par des voleurs. Quant aux grands de ce monde, loin d’aider de leur générosité les choses de la culture, ils estiment qu’aucune somme d’argent n’est davantage gaspillée en pure perte que celle que l’on dépense à de tels usages ; et rien, absolument rien ne leur agrée dont ils ne puissent tirer quelques profits. »

Photo de Râmana Maharshi lisant le journal :