jeudi 1 novembre 2018

Gutenberg et Johann Fust


Gutenberg et Johann Fust



Que sait-on de l’associé de Gutenberg dont le patronyme évoque une légende bien connue ?

On peut, pour s’en faire une idée, citer un ouvrage bien documenté écrit par un homme du métier, celui d’Yves Perrousseaux, Histoire de l’écriture typographique,  Atelier Perrousseaux, 2005, (passages soulignés par nous), pp. 60 – 61 :

 « Dans le courant de l’année 1449, Johann Gutenberg intéresse à ses travaux un certain Johann Fust, un riche bourgeois de Mayence de sa génération. Sans doute, homme de transition dans une époque de transition, ce bourgeois est-il représentatif du capitalisme naissant qui préfère investir, risquer et payer de sa personne, au lieu de se contenter de toucher les rentes du placement de son argent. En tout cas, l’inventeur a su le passionner et le convaincre. Mais Fust n’a pas de liquidités tout en étant riche, car à cette époque la fortune demeurait essentiellement immobilière. Ce qui fait que l’argent qu’il prêtera à Gutenberg, il l’aura emprunté au préalable. Dans les derniers mois de 1449 ou les premiers de 1450, Gutenberg lui emprunte 800 gulden « ou environ », la somme est importante […] Deux ans plus tard, il lui emprunte à nouveau 800 gulden pour « finir l’œuvre », couvrir les frais d’entretien, les salaires du personnel, le loyer, le parchemin, le papier, l’encre, etc. En somme, l’opération est bien entrée dans sa phase productive. Trois personnes se trouvaient à la tête de cette révolutionnaire entreprise de réalisation de livres. D’abord Gutenberg, bien sûr, l’ingénieur technicien inventeur. Ensuite, ce Johann Fust, le financier de l’entreprise ; c’est un homme cultivé, raffiné, qui aime cette activité livresque. Enfin, un homme plus jeune, de la génération suivante, Peter Schöffer. Ce dernier a vu le jour dans le village de Gernsheim, sur le Rhin, vers 1425, et a été élevé dans la famille Fust comme un fils de la famille. En 1444-1448, il est étudiant à l’université d’Erfurt et en 1449 il étudie à la Sorbonne à Paris. […] Peter Schöffer épousa la fille de Johann Fust, Christina, sans doute après la mort de celui-ci qui survint en 1466, deux ans avant celle de Gutenberg. »

L’auteur poursuit pp. 65-66 :

« Fin 1454 ou début 1455, les exemplaires de la B42 (Bible à 42 lignes) étant à peine écoulés, rien ne va plus entre les deux associés : Fust attaque Gutenberg en justice, il lui réclame le remboursement de ses prêts. Le procès a lieu en 1455 ; plusieurs pièces d’archives sont malheureusement perdues, dont la sentence datée du 6 novembre 1455. Au long des siècles, on en aura écrit des choses sur ce sujet : Fust aurait été une fripouille et aurait profité d’un Gutenberg sans défense ( !). Aujourd’hui, on pense plutôt que, dans cette affaire, il n’y a pas eu de voleur et pas de volé, mais que le fond de la discorde repose sur une impossibilité coexistentielle entre deux fortes personnalités, et dont le catalyseur est assurément une déconvenue financière. […] Fust est un esthète, un bourgeois aisé et raffiné, et un perfectionniste. C’est sans doute lui qui a voulu cette réalisation graphiquement si élaborée de la B42 […] Pour Fust, le but de l’invention c’est de réaliser de superbes ouvrages à la façon des livres manuscrits enluminés que l’on produisait de son temps et qui se vendaient fort chers ; on n’inventait rien, on se contentait de reproduire avec cette nouvelle technique ce qui existait au préalable ; c’est une vision ‘passéiste’. En effet, à la suite de sa séparation avec Gutenberg, Fust crée une nouvelle imprimerie avec Peter Schöffer, son futur gendre, et ce qui confirme son état d’esprit quelque peu mégalomane, c’est que le premier grand ouvrage qu’ils produisent (le fameux Psautier de Mayence, terminé le 14 août 1457, soit deux ans seulement après la séparation) est une œuvre encore plus somptueuse que la B42, qui a demandé un travail considérable, et qui, à nouveau, ne boucle pas financièrement

Et puis p. 73 :

« Johann Fust est mort à Paris, en 1466, deux années avant Gutenberg par conséquent. Peter Schöffer, qui a eu un rôle novateur certain tout au long de sa vie, déjà même quand il travaillait aux côtés de Gutenberg, dirigea alors seul l’atelier et on rapporte qu’il fut un imprimeur de qualité. […] On peut lui reprocher qu’en se mettant superbement en valeur et en occultant volontairement le nom de Gutenberg, dans ses colophons par exemple, on pouvait en déduire qu’il était l’inventeur de l’imprimerie. Il mourut en 1502. Son fils, Johann, lui succéda. En 1505, dans sa dédicace à l’empereur Maximilien Ier, en tête des Histoires de l’auteur latin Tite-Live, ouvrage traduit en allemand qu’il imprime, il déclare, comme pris de remords, trois ans après la mort de son père, que ‘ce livre a été achevé d’imprimer dans cette humble ville de Mayence où, en l’an 1440, l’art admirable de l’imprimerie a été premièrement inventé par l’ingénieux Johann Gutenberg et postérieurement parachevé par le savoir, les capitaux et les travaux de Johann Fust et Peter Schöffer’. »



Jean Fust apparaît donc comme un simple financier. Ce n’est pas un professionnel du métal, un orfèvre comme Gutenberg. Cette qualité d’orfèvre est à l’origine de cette découverte, de cette nouvelle technique.  Jean Fust n’a pas de connaissances techniques particulières. Ce n’est pas un homme du métier. Dans cette aventure ceux que l’on pourrait donc qualifier de maîtres imprimeurs ne peuvent être que Gutenbeg et Peter Schoeffer.

Même s’il y a une homonymie évidente [sur le frontispice d’un ouvrage sur l’art typographique daté de 1639 ( De ortu et progressu ARTIS TYPOGRAPHICAE…)  on peut y voir les portraits de Gutenberg (sous le nom de Ioan Gutenbergis) et de Jean Fust (sous le nom de Ioh. Faustus), voir la reproduction plus bas] ce bourgeois, certes audacieux, n’a pas pu inspirer une légende comme celle de Faust.

Il y a bien un ouvrage datant du XVIIIème siècle où le personnage de Faust à la qualité d’imprimeur. Il s’agit de l’ouvrage de Friedrich Maximilian Klinger,  Fausts leben, thaten und höllenfahrt. Mais pour autant il ne s’agit pas de Jean Fust.

On doit donc convenir que la relation qui existe entre le métier d’imprimeur et la légende de Faust ne résulte pas de l’existence de ce financier qui aurait très bien pu porter un autre nom sans remettre en cause cette relation.

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