Gutenberg et Johann Fust
Que
sait-on de l’associé de Gutenberg dont le patronyme évoque une légende bien
connue ?
On
peut, pour s’en faire une idée, citer un ouvrage bien documenté écrit par un
homme du métier, celui d’Yves Perrousseaux, Histoire
de l’écriture typographique, Atelier
Perrousseaux, 2005, (passages soulignés par nous), pp. 60 – 61 :
« Dans
le courant de l’année 1449, Johann Gutenberg intéresse à ses travaux un certain
Johann Fust, un riche bourgeois de
Mayence de sa génération. Sans doute, homme de transition dans une époque
de transition, ce bourgeois est-il représentatif du capitalisme naissant qui
préfère investir, risquer et payer de sa personne, au lieu de se contenter de
toucher les rentes du placement de son argent. En tout cas, l’inventeur a su le
passionner et le convaincre. Mais Fust
n’a pas de liquidités tout en étant riche, car à cette époque la fortune
demeurait essentiellement immobilière. Ce qui fait que l’argent qu’il
prêtera à Gutenberg, il l’aura emprunté au préalable. Dans les derniers mois de
1449 ou les premiers de 1450, Gutenberg lui emprunte 800 gulden « ou
environ », la somme est importante […] Deux ans plus tard, il lui emprunte à nouveau 800 gulden pour
« finir l’œuvre », couvrir les frais d’entretien, les salaires du
personnel, le loyer, le parchemin, le papier, l’encre, etc. En somme,
l’opération est bien entrée dans sa phase productive. Trois personnes se
trouvaient à la tête de cette révolutionnaire entreprise de réalisation de
livres. D’abord Gutenberg, bien sûr, l’ingénieur technicien inventeur. Ensuite,
ce Johann Fust, le financier de
l’entreprise ; c’est un homme cultivé, raffiné, qui aime cette activité
livresque. Enfin, un homme plus jeune, de la génération suivante, Peter
Schöffer. Ce dernier a vu le jour dans le village de Gernsheim, sur le Rhin,
vers 1425, et a été élevé dans la famille Fust comme un fils de la famille. En
1444-1448, il est étudiant à l’université d’Erfurt et en 1449 il étudie à la
Sorbonne à Paris. […] Peter Schöffer
épousa la fille de Johann Fust, Christina, sans doute après la mort de celui-ci
qui survint en 1466, deux ans avant celle de Gutenberg. »
L’auteur
poursuit pp. 65-66 :
« Fin 1454 ou début 1455, les exemplaires de
la B42 (Bible à 42 lignes) étant à peine écoulés, rien ne va plus entre les
deux associés : Fust attaque
Gutenberg en justice, il lui réclame le remboursement de ses prêts. Le
procès a lieu en 1455 ; plusieurs pièces d’archives sont malheureusement
perdues, dont la sentence datée du 6 novembre 1455. Au long des siècles, on en
aura écrit des choses sur ce sujet : Fust aurait été une fripouille et
aurait profité d’un Gutenberg sans défense ( !). Aujourd’hui, on pense
plutôt que, dans cette affaire, il n’y a pas eu de voleur et pas de volé, mais
que le fond de la discorde repose sur une impossibilité coexistentielle entre
deux fortes personnalités, et dont le catalyseur est assurément une déconvenue
financière. […] Fust est un esthète, un bourgeois aisé et
raffiné, et un perfectionniste.
C’est sans doute lui qui a voulu cette réalisation graphiquement si élaborée de
la B42 […] Pour Fust, le but de l’invention c’est de réaliser de superbes ouvrages
à la façon des livres manuscrits enluminés que l’on produisait de son temps et qui se vendaient fort chers ; on n’inventait rien, on se
contentait de reproduire avec cette nouvelle technique ce qui existait au
préalable ; c’est une vision ‘passéiste’. En effet, à la suite de sa
séparation avec Gutenberg, Fust crée une
nouvelle imprimerie avec Peter Schöffer, son futur gendre, et ce qui
confirme son état d’esprit quelque peu mégalomane, c’est que le premier grand
ouvrage qu’ils produisent (le fameux Psautier de Mayence, terminé le 14 août 1457, soit deux ans
seulement après la séparation) est une œuvre encore plus somptueuse que la B42,
qui a demandé un travail considérable, et qui, à nouveau, ne boucle pas
financièrement.»
Et
puis p. 73 :
« Johann
Fust est mort à Paris, en 1466,
deux années avant Gutenberg par conséquent. Peter Schöffer, qui a eu un rôle
novateur certain tout au long de sa vie, déjà même quand il travaillait aux
côtés de Gutenberg, dirigea alors seul l’atelier et on rapporte qu’il fut un
imprimeur de qualité. […] On peut lui
reprocher qu’en se mettant superbement en valeur et en occultant volontairement
le nom de Gutenberg, dans ses colophons par exemple, on pouvait en déduire qu’il
était l’inventeur de l’imprimerie. Il mourut en 1502. Son fils, Johann, lui
succéda. En 1505, dans sa dédicace à l’empereur Maximilien Ier, en tête des Histoires de l’auteur latin Tite-Live, ouvrage traduit en allemand qu’il imprime,
il déclare, comme pris de remords, trois ans après la mort de son père, que ‘ce
livre a été achevé d’imprimer dans cette humble ville de Mayence où, en l’an
1440, l’art admirable de l’imprimerie a été premièrement inventé par
l’ingénieux Johann Gutenberg et postérieurement parachevé par le savoir, les capitaux et les travaux de Johann
Fust et Peter Schöffer’. »
Jean
Fust apparaît donc comme un simple financier. Ce n’est pas un professionnel du
métal, un orfèvre comme Gutenberg.
Cette qualité d’orfèvre est à l’origine de cette découverte, de cette nouvelle
technique. Jean Fust n’a pas de
connaissances techniques particulières. Ce n’est pas un homme du métier. Dans
cette aventure ceux que l’on pourrait donc qualifier de maîtres imprimeurs ne
peuvent être que Gutenbeg et Peter Schoeffer.
Même
s’il y a une homonymie évidente [sur le frontispice d’un ouvrage sur l’art
typographique daté de 1639 ( De ortu et
progressu ARTIS TYPOGRAPHICAE…) on
peut y voir les portraits de Gutenberg (sous le nom de Ioan Gutenbergis) et de
Jean Fust (sous le nom de Ioh. Faustus), voir la reproduction plus bas] ce
bourgeois, certes audacieux, n’a pas pu inspirer une légende comme celle de
Faust.
Il
y a bien un ouvrage datant du XVIIIème siècle où le personnage de Faust à la
qualité d’imprimeur. Il s’agit de l’ouvrage de Friedrich Maximilian Klinger, Fausts
leben, thaten und höllenfahrt. Mais pour autant il ne s’agit pas de Jean
Fust.
On
doit donc convenir que la relation qui existe entre le métier d’imprimeur et la
légende de Faust ne résulte pas de l’existence de ce financier qui aurait très
bien pu porter un autre nom sans remettre en cause cette relation.
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