mercredi 31 octobre 2018

Une dérive « fractale » ?


Une dérive « fractale » ?



La collection « Points », série « Sagesses », des éditions Points  (anciennement éditions du Seuil) s’est enrichie d’un nouveau titre: René Guénon, le visage de l’éternité, par Erik Sablé.

L’opuscule compte 5 chapitres. Le premier s’intitule : « l’infini » et non l’Infini, la nuance est plus que significative comme on le verra. Ce chapitre commence de la meilleure des façons, E. Sablé écrit en effet :

« Pour aborder l’œuvre de Guénon, il est nécessaire de se familiariser avec sa langue. Une langue dense où chaque mot est à sa place et possède une signification précise. Une langue fondée sur des distinctions subtiles qu’il faut connaître pour s’ouvrir au sens réel de sa parole. Cela demande une fréquentation de l’œuvre, une écoute du texte guénonien, qui est, en fait, d’une grande clarté, mais avec lequel il faut se familiariser pour qu’il révèle tout son sens  (p. 25). »

Après ce préambule très convaincant, l’auteur aurait dû proposer de larges extraits de cette œuvre. Mais fâcheusement l’auteur va alors se lancer dans des discours qui sont très loin de la clarté et de la précision de René Guénon. Il écrit ainsi :

« Car l’infini peut faire l’objet d’une connaissance intuitive. Il n’est pas une simple abstraction, mais il peut être réalisé lorsque nous sommes « entièrement affranchis des conditions limitatives de l’existence individuelle [R. Guénon, Les États multiples de l’être] ». Cela n’est possible que parce que l’être humain est d’essence spirituelle : il n’est pas simplement un animal raisonnable, mais un être habité au plus profond par la présence de l’infini (p. 28). »

Voyons d’abord le passage du chapitre intitulé l’Être et le Non-Être des États multiples de l’être d’où sont extraits imparfaitement les mots (soulignés par nous) cités par E. Sablé :

« Quant aux possibilités de non-manifestation, elles appartiennent essentiellement au Non-Être, et, par leur nature-même, elles ne peuvent pas entrer dans le domaine de l’Être, contrairement à ce qui a lieu pour les possibilités de manifestation ; mais, comme nous l’avons dit plus haut, cela n’implique aucune supériorité des unes sur les autres, puisque les unes et les autres ont seulement des modes de réalité différents et conformes à leurs natures respectives ; et la distinction même de l’Être et du Non-Être est, somme toute, purement contingente, puisqu’elle ne peut être faite que du point de vue de la manifestation, qui est lui-même essentiellement contingent. Ceci, d’ailleurs, ne diminue en rien l’importance que cette distinction a pour nous, étant donné que, dans notre état actuel, il ne nous est pas possible de nous placer effectivement à un point de vue autre que celui-là, qui est le nôtre en tant que nous appartenons nous-mêmes, comme êtres conditionnés et individuels, au domaine de la manifestation, et que nous ne pouvons dépasser qu’en nous affranchissant entièrement, par la réalisation métaphysique, des conditions limitatives de l’existence individuelle. »

René Guénon parle de réalisation métaphysique. M. Sablé ne voit pas l’absurdité de ce qu’il écrit. On ne réalise pas l’Infini. Il n’y a pas une réalisation virtuelle ou effective de l’Infini. L’Infini est l’Infini. Etant la Réalité totale, Il n’a pas à se réaliser. Dire qu’il n’est pas une simple abstraction voudrait faire entendre qu’il est concret. Les mots choisis par M. Sablé sont parfaitement inadaptés. L’Infini est bien évidemment au-delà de toutes ces catégories, de toutes ces oppositions. On constate immédiatement que l’auteur déforme les propos exacts de René Guénon et tout au long de son livre, il va ainsi dénaturer sa pensée pour n’en offrir qu’une caricature.

Mais poursuivons notre citation de la page 28 de l’opuscule de M. Sablé :

« Cette identité de l’homme en son essence avec l’infini – la Totalité Une – est sans doute l’aspect le plus surprenant des doctrines traditionnelles. Au fond, derrière les apparences, les illusions qui nous emportent, nous sommes « Dieu », nous nous identifions à cette réalité infinie. La Tradition, qu’elle soit d’expression juive, musulmane, chrétienne, hindoue ou bouddhiste, nous enseigne comment réaliser cette essence « supra-individuelle ». Il n’est pas question de croyances, toujours susceptibles d’être mises en doute, mais bien de réalisation, de vivre l’infini en soi. »

C’est l’auteur qui souligne cette formulation improbable « nous sommes Dieu ». S’il y avait identification de l’ «essence de l’homme » avec l’Infini cela voudrait inférer que la substance de l’homme est hors de l’Infini et par conséquent que l’Infini n’est pas Infini puisqu’il serait alors limité par cette absence. M. Sablé aime la littérature, la Vérité lui est indifférente. Pour faire de beaux discours il n’hésite pas à travestir le vrai. Qui se cache derrière ce « nous » qui voudrait être l’égal de Dieu ? L’ego de M. Sablé bien évidemment et l’ego du lecteur qui se berce aux fables de M. Sablé : une grenouille aussi grosse que le bœuf !

Pour M. Sablé, la réalisation serait aussi inconstante que la vie. « Vivre l’infini en soi », une formule comme les aiment les férus du New Age. Réduire l’Infini à ces quelques litres de sang qui circulent dans nos veines. M. Sablé ne sait peut-être pas faire de distinction entre sa formule douteuse « vivre l’infini en soi » et cette autre mode d’expression qui répond à une perspective traditionnelle « réaliser effectivement le Soi ».

Les pages vont se succéder et l’auteur va pourvoir ainsi poursuivre son à-peu-près. Un autre exemple, un nouvel extrait:

« Cette Identité suprême, cet état de délivrance, de libération, d’union au Divin, est décrit par Guénon comme une expérience par laquelle l’être est « dilaté au-delà de toute limite » et cesse d’exister en tant qu’individu pour devenir une « conscience omniprésente ». Cet état a été vécu par les grands spirituels de toutes les religions (p. 29). »

René Guénon ne parle pas d’expérience ce qui serait totalement impropre mais bien de « transformation » et cette description n’est pas « de Guénon », voici ce qu’il écrit précisément au chapitre XX intitulé Différence des conditions posthumes suivant les degrés de la connaissance de L’homme et son devenir selon le Vêdânta :

« Plusieurs commentateurs des Brahma-Sûtras, pour marquer encore plus nettement le caractère de cette « transformation » (nous prenons ce mot dans son sens strictement étymologique, qui est celui de « passage hors de la forme »), la comparent à la disparition de l’eau dont on a arrosé une pierre brûlante. En effet, cette eau est « transformée » au contact de la pierre, du moins en ce sens relatif qu’elle a perdu sa forme visible (et non pas toute forme, puisqu’elle continue évidemment à appartenir à l’ordre corporel), mais sans qu’on puisse dire pour cela qu’elle a été absorbée par cette pierre, puisque, en réalité, elle s’est évaporée dans l’atmosphère, où elle demeure dans un état imperceptible à la vue. De même, l’être n’est point « absorbé » en obtenant la « Délivrance », bien que cela puisse sembler ainsi du point de vue de la manifestation, pour laquelle la « transformation » apparaît comme une « destruction » ; si on se place dans la réalité absolue, qui seule demeure pour lui, il est au contraire dilaté au delà de toute limite, si l’on peut employer une telle façon de parler (qui traduit exactement le symbolisme de la vapeur d’eau se répandant indéfiniment dans l’atmosphère), puisqu’il a effectivement réalisé la plénitude de ses possibilités. »

L’expression « conscience omniprésente » a quant à elle été détachée arbitrairement du chapitre XXII du même ouvrage et intitulé Le « voyage divin » de l’être en voie de libération :

«  L’« Identité Suprême » est donc la finalité de l’être « délivré », c’est-à-dire affranchi des conditions de l’existence individuelle humaine, ainsi que de toutes autres conditions particulières et limitatives (upâdhis), qui sont regardées comme autant de liens. Lorsque l’homme (ou plutôt l’être qui était précédemment dans l’état humain) est ainsi « délivré », le « Soi » (Âtmâ) est pleinement réalisé dans sa propre nature « non-divisée », et il est alors, suivant Audulomi, une conscience omniprésente (ayant pour attribut chaitanya) ; c’est ce qu’enseigne aussi Jaimini, mais en spécifiant en outre que cette conscience manifeste les attributs divins (aishwarya), comme des facultés transcendantes, par là même qu’elle est unie à l’Essence Suprême. C’est là le résultat de la libération complète, obtenue dans la plénitude de la Connaissance Divine ; quant à ceux dont la contemplation (dhyâna) n’a été que partielle, quoique active (réalisation métaphysique demeurée incomplète), ou a été purement passive (comme l’est celle des mystiques occidentaux), ils jouissent de certains états supérieurs, mais sans pouvoir arriver dès lors à l’Union parfaite (Yoga), qui ne fait qu’un avec la « Délivrance ». »

Pourquoi M. Sablé n’a-t-il pas cité ces passages de façon claire ? Pourquoi n’a-t-il pas laissé la parole à René Guénon plutôt que de faire semblant de le citer. Sans doute pour pouvoir plus facilement travestir sa pensée.

On trouve quelques pages plus loin :

« La différence entre l’infini métaphysique, qui est le seul véritable infini, sans partie, insécable, simple, un, et l’indéfini, qui n’est qu’une extension du fini dont on peut sans cesse repousser la limite, est fondamentale dans l’œuvre de René Guénon. Si nous voulons traduire cette différence en termes communs, nous dirons qu’elle est celle de Dieu et du monde, bien que René Guénon ait très largement évité le mot « Dieu », qui prête à confusion, et qu’il faille entendre « monde » dans son sens le plus général comme ce qui comprend la totalité de la manifestation. Du fait que la manifestation est le déploiement de l’infini, elle est, elle aussi, sans bornes. Cependant, au regard de l’individu, elle n’apparaît pas comme une Totalité, une Unité, mais comme une réalité fragmentée, divisée, composée d’une multiplicité de parties. C’est cette réalité multiple que Guénon nomme l’indéfini. (p. 35) »

Pourquoi vouloir « traduire en termes communs »? On sombre alors dans l’erreur complète. La manifestation n’est pas le déploiement de l’Infini. René Guénon n’a pas manqué d’expliquer que la manifestation dans son intégralité était véritablement NULLE au regard de l’Infini. L’aberration va devenir totale, lorsque l’auteur va ensuite s’appuyer sur la théologie pour soi-disant « nous aider à comprendre cette distinction entre infini et indéfini ». Il cite alors Nicolas de Cues qui n’est certainement pas un métaphysicien même s’il développe dans son œuvre le point de vue de la théologie dite négative.

Mais pourquoi, encore un fois, E. Sablé ne cite pas directement René Guénon. Ainsi peut-on lire au chapitre I, intitulé l’Infini et la possibilité de l’ouvrage Les États multiples de l’être:

« Pour bien comprendre la doctrine de la multiplicité des états de l’être, il est nécessaire de remonter, avant toute autre considération, jusqu’à la notion la plus primordiale de toutes, celle de l’Infini métaphysique, envisagé dans ses rapports avec la Possibilité universelle. L’Infini est, suivant la signification étymologique du terme qui le désigne, ce qui n’a pas de limites ; et, pour garder à ce terme son sens propre, il faut en réserver rigoureusement l’emploi à la désignation de ce qui n’a absolument aucune limite, à l’exclusion de tout ce qui est seulement soustrait à certaines limitations particulières, tout en demeurant soumis à d’autres limitations en vertu de sa nature même, à laquelle ces dernières sont essentiellement inhérentes, comme le sont, au point de vue logique qui ne fait en somme que traduire à sa façon le point de vue qu’on peut appeler « ontologique », des éléments intervenant dans la définition même de ce dont il s’agit. Ce dernier cas est notamment, comme nous avons eu déjà l’occasion de l’indiquer à diverses reprises, celui du nombre, de l’espace, du temps, même dans les conceptions les plus générales et les plus étendues qu’il soit possible de s’en former, et qui dépassent de beaucoup les notions qu’on en a ordinairement ; tout cela ne peut jamais être, en réalité, que du domaine de l’indéfini. »

Les choses deviennent tellement claires et précises chez René Guénon. Nous ne pouvons que regretter encore une fois que l’auteur de cet opuscule ait privé ainsi ses éventuels lecteurs de cette chance de lire quelque chose de vraiment intelligent.

Une nouvelle phrase d’E. Sablé parmi tant d’autres où l’absurdité se déploie pleinement.

« La notion guénonienne d’infini permet de résoudre une autre énigme, celle de l’origine du monde (p. 44). »

Un  « infini guénonien », personne ne l’avait encore proposé, M. Sablé a osé. La palme du ridicule lui échoit sans contestation possible.

Une dernière chose et celle-ci est une multi récidive comme on le verra. M. Sablé veut trouver des confirmations des écrits de René Guénon chez des auteurs ou des personnages à l’antipode le plus complet de la doctrine qu’il a enseignée dans son œuvre. Ainsi il écrit:

« Ce qu’écrit Guénon rejoint les conclusions d’un paléontologue comme Michael Denton, directeur du Centre de recherche en génétique humaine de Sydney. Dans Evolution. Une théorie en crise où il montre les limites de la conception darwinienne … (p. 48) »

La conception darwinienne limitée ou non est une pure absurdité dans son principe. On ne peut dans le meilleur des cas retenir des écrits de Darwin que quelques considérations analytiques sans grand intérêt si ce n’est que pour des applications pratiques. Mais il est vrai que c’est la seule chose qui intéresse nos contemporains.

Nous devons maintenant parlé d’un autre passage assez curieux de son opuscule. M. Sablé semble aimer particulièrement le vocabulaire scientifique qu’il manie d’ailleurs à tort et à travers. Voici ce passage significatif (p. 37) :

« Ainsi, l’infini se « diffracte » pour donner la multiplicité indéfinie des formes de la manifestation, qui est réellement sans limite aucune, de même qu’il n’y a pas de limite à la suite des nombres. Gaston Georgel, qui a prolongé les études de Guénon sur les cycles qui ordonnent le déploiement du cosmos en les appliquant à l’histoire de l’humanité, parle d’une « subdivision indéfinie des cycles en périodes de plus en plus courtes, chacune se présentant comme un reflet ou une miniature du cycle total » [Les Quatre âges de l’humanité, Milan, Archè, 1976, p. 79.] En mathématiques, ces divisions successives, selon le même mode, sont appelées fractales. Ce sont des objets qui se reproduisent en gardant toujours le même aspect à des échelles différentes. « Dans un triangle fractal, chaque petit triangle est structurellement identique au grand triangle. » Les nuages, les arbres, les montagnes, les vaisseaux sanguins, les poumons sont des fractales dans la mesure où on peut les diviser en sections de plus en plus petites, toujours semblables. Il semble donc que l’indéfini, c’est-à-dire le monde, obéisse à cette loi de fractionnement qui reproduit le même motif à des échelles différentes. »

Le choix de la diffraction pour illustrer le processus de la manifestation paraît peu parlant. Cette assimilation de L’Infini à une onde et de la manifestation à ses interférences n’évoque pas grand-chose : une conception de l’Infini au rabais façon monde moderne.

C’est nous qui avons souligné le mot « fractales ». Le terme fractal a été utilisé pour la première fois en 1975 par Benoit Mandelbrot pour son livre intitulé justement : Les objets fractals – forme, hasard et dimension.

Au chapitre premier, introduction, on peut y lire ceci (passages en gras soulignés par nous):

«Dans le présent essai, des objets naturels très divers, dont beaucoup sont fort familiers, tels la Terre, le Ciel et l’Océan, sont étudiés à l’aide d’une large famille d’objets géométriques, jusqu’à présent jugés ésotériques et inutilisables, mais dont j’espère montrer tout au contraire qu’ils méritent, de par la simplicité, la diversité et l’étendue extraordinaires de leurs nouvelles applications, d’être bientôt intégrés à la géométrie élémentaire. Bien que leur étude appartienne à des sciences différentes entre autre la géomorphologie, l’astronomie et la théorie de la turbulence, les objets naturels en question ont en commun d’être de forme extrêmement irrégulière ou interrompue. Pour les étudier, j’ai conçu, mis au point et largement utilisé une nouvelle géométrie de la nature. La notion qui lui sert de fil conducteur sera désignée par l’un de deux néologismes synonymes, « objet fractal » et « fractale », termes que je viens de former, pour les besoins de ce livre, à partir de l’adjectif latin fractus, qui signifie « irrégulier ou brisé ». » (Editions Flammarion, collection champs, quatrième édition, 1995, p. 5)

Dans son ouvrage intitulé Le monde fascinant des objets fractals publié en 2015 aux Editions Ellipses, Florence Messineo pose cette question (p. 11) :

« Qu’est-ce qu’une figure fractale ? » Et donne cette réponse :

« Les figures fractales sont auto-similaires, c’est-à-dire que si on zoome à n’importe quel endroit de la fractale, on retrouve la même structure que celle de la fractale dans son ensemble quelle que soit l’échelle où l’on se place. »

On voit ainsi que ce qui caractérise un objet fractal c’est sa totale uniformité. De l’indéfiniment petit à l’indéfiniment grand on doit y retrouver la même structure, la même forme géométrique. Ainsi lorsque M. Sablé nous indique que le monde manifesté est un fractale, il veut nous faire comprendre qu’il n’est que la répétition de l’indéfiniment petit à l’indéfiniment grand de la même structure. En chaque instant qui est toujours de la même nature, se développe la même chose dans un espace toujours identique à lui-même… Le Principe répèterait ainsi indéfiniment la même chose, les possibilités de manifestation seraient ainsi réduites à une uniformité inconcevable…Une absurdité totale. On sait que la science moderne considère que le temps est uniforme. Mais la doctrine traditionnelle nous explique bien au contraire que le temps est qualifié et que malgré les apparences il ne s’écoule pas de façon linéaire mais de façon « cyclique ». Par conséquent en rien la doctrine cyclique ne peut répondre à la modélisation fractale. Si un cycle peut toujours être envisagé comme l’enchainement d’un ensemble de cycles plus restreints, chacun des éléments ainsi envisagés s’ils se correspondent les uns aux autres ne s’identifient en rien. Une année dans le Kali-Yuga n’a rien de commun avec une année d’un Yuga précédent. Mais même deux années d’un même Yuga n’ont rien de commun non plus. Aucun jour ne s’identifie à un autre, ils n’ont pas la même qualité même si l’on veut penser qu’ils ont la même durée. De façon générale, chaque élément cyclique constitutif d’un cycle plus vaste est unique en lui-même et cela jusqu’à l’épuisement de l’indéfinité. Ce qui vient d’être dit concernant le temps est tout aussi valable pour les autres conditions de l’existence corporelle comme l’espace par exemple. Ces conditions doivent être toujours envisagées selon deux aspects au moins, l’un quantitatif et l’autre qualitatif.

Pourquoi vouloir faire un lien entre l’œuvre de René Guénon et cette théorie fractale dont le modernisme ne peut être que suspect ? Cette nouvelle géométrie qui caractérise l’objet fractal ne peut en aucun cas servir de support symbolique à des notions traditionnelles. On aura même noté que M. Mandelbrot ne considère le domaine ésotérique que comme celui de l’ignorance et de l’inutilité. Le mot « fractal » signe évident du « règne de la quantité » n’a aucune légitimité à figurer dans un discours qui se veut authentiquement traditionnel.

M. Sablé se fait ainsi l’écho (volontairement ou involontairement ?) de cette vulgarisation scientifique qui voit des objets fractals partout. Les théories développées par M. Mandelbrot ont été simplifiées pour les rendre plus accessibles et ainsi croit-on voir des fractales dans les manifestations du développement naturel. Par cet effet de la subversion moderne ce qui ne devait être reconnu que comme un développement lié au principe cyclique se voit reconnu comme un développement fractal.

Un autre auteur semble bien avoir été victime de cette même confusion. Il s’agit de M. Gauthier Pierozak auteur de ce fameux « Index ». On peut en effet lire cette présentation sur un site (https://fr.ulule.com/archives-charbonneau-lassay):

« Gauthier Pierozak étudie depuis plus de 25 ans le symbolisme en général, et le symbolisme chrétien et graalique en particulier. Il rassemble les publications d'auteurs comme René Guénon ou Louis Charbonneau-Lassay, et il dédie son temps personnel à faciliter la transmission de leurs œuvres aux générations futures. Gauthier Pierozak est en particulier l'auteur d'un outil de travail très précieux pour les lecteurs de René Guénon, qui permet une recherche par mots-clefs de son œuvre entière: www.index-rene-guenon.org, outil qui pourra être adapté à un site de consultation des archives de Charbonneau-Lassay. »

On connait ainsi maintenant officiellement l’auteur de cet Index, qui est également l’auteur notamment d’un texte intitulé L’Hermétisme et les cycles cosmiques. Ce texte a été publié dans des revues et des sites :


Oriens en français et en anglais,  http://oriens.regnabit.com/regnabit.htm


Voici donc ce qu’écrit M. Pierozak au commencement de son article (les passages en gras sont ceux qui ont été soulignés par M. Pierozak) :

« L’étude de la doctrine métaphysique, et en particulier de ce qui se rapporte à la manifestation en tant que détermination d’une possibilité particulière dans l’Absolu du Principe suprême, permet de remarquer des lois cosmiques générales que l’on peut particulièrement comparer à des fractales mathématiques. René Guénon en parle clairement dans son œuvre, en particulier lorsqu’il présente la doctrine des cycles cosmiques. Il dit ainsi qu’un cycle quelconque peut être « considéré comme une fraction d’un autre cycle plus étendu; mais, en vertu d’une certaine loi de correspondance, chacun des cycles secondaires reproduit, à une échelle plus réduite, des phases qui sont comparables à celle des grands cycles dans lesquels il s’intègre. Ce qui peut être dit des lois cycliques en général trouvera donc son application à différents degrés : cycles historiques, cycles géologiques, cycles proprement cosmiques, avec des divisions et des subdivisions qui multiplient encore ces possibilités d’application. D’ailleurs, quand on dépasse les limites du monde terrestre, il ne peut plus être question de mesurer la durée d’un cycle par un nombre d’années entendu littéralement ; les nombres prennent alors une valeur purement symbolique et ils expriment des proportions plutôt que des durées réelles. » [René Guénon, L’Ésotérisme de Dante, Les Cycles cosmiques, Gallimard, 1957, p. 62.] Il s’agit bien ici de la description d’un principe fractal et c’est ce qui permet de justifier, si besoin était encore, l’emploi de l’analogie ou de la correspondance, et l’usage de symboles pour signifier des concepts métaphysiques élevés et souvent inexprimables, par le constat que le plus petit peut symboliser le plus grand, par loi d’analogie. »

Dans une note l’auteur avait précisé concernant le mot « fractale » :

« Terme mathématique, provenant de la racine latine fractus, ou « fraction », et  désignant un objet dont la structure est invariante par changement d’échelle. En d’autres termes, on retrouve la même structure générale quelle que soit la distance où l’observateur se place par rapport au sujet, de l’indéfiniment petit à l’indéfiniment grand. »

On constate que là aussi la confusion est totale. Lorsque René Guénon explique que tout s’accomplit en fonction d’UNE CERTAINE LOI DE CORRESPONDANCE, M. Pierozak parle lui d’un pseudo PRINCIPE FRACTAL. René Guénon n’a jamais parlé CLAIREMENT !! de ces objets fractals et pour cause le mot a été inventé bien après son décès. Cette loi de correspondance qui respecte les aspects quantitatifs et qualitatifs de la manifestation ne peut en aucun cas être représentée par une modélisation aussi simpliste et réductrice que celle proposée par  les objets fractals.

M. Pierozak devient particulièrement le jouet de cette subversion lorsqu’il nous présente une photo d’un coquillage, un nautile, et qu’il indique en la commentant:

« Le nautilus est un exemple de fractale dans la nature. Quelle que soit la distance où on l’observe, on obtient la même structure géométrique. »

Ce coquillage n’est pas un objet fractal. Il n’y a pas d’objet fractal dans la nature. Par contre ce coquillage est une superbe illustration du principe des cycles. Tout en correspondance, sans aucune uniformisation, l’animal occupe successivement les différentes cavités qu’il a lui-même secrétés au rythme de ses cycles de développement et de croissance. Et il n’y a jamais eu deux nautiles identiques et il n’y en aura jamais même à l’épuisement de l’indéfini. Chaque nautile est unique à l’image du Principe. Car si tout est bien un reflet du Principe, il n’y a que l’Infini qui soit identique à l’Infini. Chaque chose de l’indéfiniment petit à l‘indéfiniment grand est à l’image du Tout mais seul le Tout est identique à lui-même.

On sait que cette géométrie fractale est directement liée au développement de l’informatique. L’objet fractal n’est qu’une itération d’un module unique où ne varie qu’une seule option: l’échelle. Les ordinateurs sont ce qui se rapproche le plus de la quantité pure avec ce raisonnement binaire et une puissance infrahumaine effroyable, puissance d’ailleurs qui ne fait que croître. Voir des fractales partout c’est d’une certaine façon annoncer la victoire de la quantité pure.

L’œuvre de René Guénon  a été numérisé. Elle a été totalement ingérée par cette logique binaire. Est-ce pour de bonnes raisons ? On peut dans notre monde uniformisé obtenir en quelques millisecondes n’importe quel extrait de cette œuvre. Mais est-on certain pour autant de bien pouvoir en saisir la quintessence?   Son accessibilité virtuelle quasi instantanée est-elle le gage d’une meilleure assimilation potentielle ? On peut en douter.

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