mardi 30 octobre 2018

Le Dalaï-Lama et son enseignement


Le Dalaï-Lama et son enseignement


Comme toutes les traditions encore vivantes, le Bouddhisme tibétain est lui aussi soumis au même  processus d’épuisement et de dégénérescence propre à la descente cyclique en cette fin de Kali-Yuga
La fonction éminente de Dalaï-Lama n’échappe pas à ce processus. Le Bouddhisme tibétain est ainsi devenu, depuis de nombreuses années déjà, l’objet en Occident d’une sorte de mode aux effets dévastateurs. Les quelques remarques qui suivent s’adressent à ceux qui considérant le Dalaï-Lama comme un chef spirituel voudraient dans toute la mesure du possible cerner un peu mieux certains de ses enseignements.
            Sa Sainteté ne ménage pas sa peine pour apporter cette connaissance auprès de ceux qui le sollicitent sans répit.
           Les ouvrages se sont multipliés. Les traductions en diverses langues aussi. Mais, pour autant, le lecteur dispose-t-il des clefs suffisantes pour se fondre dans cet enseignement tout en déjouant les pièges tendus par l’imperfection inévitable de la traduction ? Car si les propos précis de Sa Sainteté ont pu être conservés scrupuleusement dans la transposition formelle, il n’est pas certain que, ce faisant, l’esprit en ait été pleinement respecté. À trop se rapprocher d’un sens purement littéral, on peut aboutir à une sorte de jargon qui trahit parfois totalement l’enseignement ou tout du moins le rend inaccessible. A trop vouloir conserver la "lettre", on risque d’en oublier le "fond".
            Sa Sainteté a d’ailleurs pleinement conscience de cette complexité et des difficultés que peuvent rencontrer les Occidentaux qui cherchent à les résoudre. Voilà ce qu’il nous dit dans son ouvrage intitulé My Land and my People:
« Je dois avouer qu’il est très difficile de trouver les mots exacts qui traduiront les termes philosophiques du bouddhisme que nous utilisons en tibétain. A l’heure actuelle, il est presque impossible de rencontrer un érudit qui possède à la fois une connaissance parfaite de l’anglais, autant que de la philosophie et de la religion du bouddhisme tibétain; rares sont les traductions fidèles à disposition. Certes, les traductions et les livres publiés dans le passé ont rendu de grands services au bouddhisme, mais certaines restent très grossières, n’en donnant qu’une idée superficielle. Je souhaite qu’à l’avenir on parvienne peu à peu à résoudre ce problème, afin que les aspects plus profonds de notre religion puissent être accessibles aux lecteurs de langues étrangères. En attendant, on a traduit très librement le présent appendice, de manière à rendre sa lecture aussi simple que possible. Personnellement, je ne puis écrire en toute confiance à ce sujet qu’en langue tibétaine et dois me fier jusqu’à présent à d’autres pour choisir les mots exacts dans une autre langue. » [MPMP, pp. 199-200
            Le Dalaï-Lama s’exprime en tibétain et même lorsqu’il écrit en anglais, le problème reste tout aussi patent, comme il nous l’explique dans son ouvrage portant le titre Freedom in Exile:
« (...) A cause du peu de temps libre dont je dispose, j’ai décidé de raconter mon histoire en anglais. Cela n’a pas été facile, car mon aptitude à m’exprimer dans cette langue est limitée. En outre, je suis conscient que certaines implications de ce que je dis ne correspondent que de loin à mes intentions. Mais le problème serait le même avec une traduction du tibétain. » [LLME, p. 7.]
            Ces remarques ont donc pour objet de tenter de poser des jalons entre l’enseignement authentique du Dalaï-Lama et la forme parfois bien imparfaite qu’il peut connaître dans son expression occidentale.
            Celui qui aborde cet enseignement peut ne pas être lui-même bouddhiste et même s’il l’est devenu ou croit l’être devenu, il n’en est pas moins à des degrés divers enveloppé du lourd manteau de la mentalité moderne, de cette mondialisation des idées occidentales.
            Tout le monde est censé avoir une idée sur ce que peut être le karma ou le nirvâna. Mais cette connaissance est-elle authentique ? Le lecteur découvrira que ce qui apparaît comme très simple est parfois bien plus complexe, mais aussi, paradoxalement, que ce qui lui paraît confus peut retrouver dans un souci de synthèse toute la simplicité de l’Unité.

L’Océan de Sagesse

            Être Dalaï-Lama, c’est incontestablement être le représentant d’une des plus éminentes fonctions spirituelles. Faut-il considérer le Dalaï-Lama comme une sorte de Pape du Bouddhisme ? Non, car ce qualificatif serait doublement fautif. D’une part parce que le terme même de pape ne peut convenir qu’à celui qui occupe la fonction de chef spirituel de l’Église catholique, apostolique et romaine exclusivement. Et d’autre part, de même que le pape qui est le gardien de la doctrine d’une forme authentique du Christianisme, le Dalaï-Lama est aussi le gardien de la doctrine d’une des composantes orthodoxes, l’une des plus élaborées, du Bouddhisme, la plus attirante mais aussi la plus inaccessible par sa complexité: celle du Bouddhisme tibétain
            Gardien suprême de la tradition tibétaine, le Dalaï-Lama est pour cela l’un des personnages les plus énigmatiques auxquels l’Occident se voit confronté.
            Le Dalaï-Lama est l’héritier d’une fonction primordiale qui synthétisait effectivement en un seul être l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel, le sacerdoce et la royauté. On ne peut mesurer dans nos sociétés démocratiques modernes la puissance spirituelle d’une telle fonction. Peut-on comprendre une société traditionnelle qui avait à sa tête un représentant de ce que l’on peut nommer le Centre suprême où se dicte la Volonté du Ciel et où convergent les influences spirituelles; un Maître, gardien de la Terre sainte ? Pour accueillir ce représentant, la ville de Lhassa était ainsi devenue le reflet de ce Centre suprême, ce qui est de la façon la plus exacte un lieu que l’on peut qualifier de ville sainte.
            Mais, ce lien effectif avec le Centre suprême est-il aujourd’hui rompu ? Écoutons le Dalaï-Lama qui semble bien apporter ici une réponse:
« Le titre de dalaï-lama revêt, selon les gens, des significations différentes. Pour certains, je suis un Bouddha vivant, la manifestation terrestre d’Avalokiteshvara, bodhisattva de Compassion. Pour d’autres, un "dieu-roi". À la fin des années cinquante, ce titre faisait de moi un vice-président du Comité directeur de la République populaire de Chine. Puis, quand j’ai fui en exil, on m’a traité de contre-révolutionnaire et de parasite. Mais dans tout cela, il n’y a rien qui corresponde à mes idées. Pour moi, "dalaï-lama" désigne la fonction que j’occupe. Je ne suis qu’un être humain, accidentellement tibétain, devenu moine bouddhiste. » [LLME, p. 7.]
            La racine sanscrite LOK signifie "voir" et le préfixe ava "descendre vers". Îshvara, c’est le Seigneur, l’Être, l’aspect ontologique du Principe suprême (en sanscrit symbolisé par le terme neutre Brahma).
            Le terme avalokiteshvara est donc littéralement le regard (lokitâ) vers le bas (ava) du Seigneur (îshvara). La providence manifeste la Volonté du Ciel, elle se répand dans le monde. Le regard, c’est la vision c’est-à-dire la connaissance. Le Dalaï-Lama, manifestation terrestre (descente) d’Avalokiteshvara, est ainsi le dépositaire de la connaissance spirituelle, celui qui recueille et dispense les influences spirituelles. Ce terme doit être mis en correspondance avec celui d’avatâra qui qualifie le Bouddha. On retrouve le même préfixe ava, la racine TRî signifiant "atteindre". L’avatâra est donc une descente, une manifestation directe, le symbole du lien effectif avec le Principe suprême.
            Dans le même ouvrage Freedom in Exile, le Dalaï-Lama précise au chapitre premier:
« En fait, dalaï est un mot mongol signifiant "océan", et lama, un équivalent tibétain du terme indien guru, qui désigne un maître. Accolés l’un à l’autre, les mots dalaï et lama sont parfois traduits librement par "océan de sagesse". Mais je crois qu’il s’agit là d’un malentendu. Dalaï n’était qu’une traduction partielle de Sonam Gyatso, nom du troisième dalaï-lama. En tibétain, gyatso signifie "océan". Une autre confusion vient par ailleurs de l’assimilation par les Chinois du terme de lama à celui de huo-fou, par quoi l’on entend un "bouddha vivant". Ce qui est une erreur. Le Bouddhisme tibétain ne reconnaît rien de tel. Il admet simplement que certains êtres, parmi lesquels le dalaï-lama, peuvent choisir leur renaissance. On désigne ces gens-là sous le nom de tulku (incarnations). » [LLME, pp. 11-12.]
            Si la notion de guru, de maître spirituel ne semble pas présenter trop de difficultés d’interprétation, encore que la reconnaissance d’un authentique maître spirituel soit quelque chose de très délicat; les notions bien distinctes de bodhisattva et de tulku sont sans aucun doute parmi les réalités traditionnelles, celles qui offrent le plus de difficultés à être bien comprises. Nous y reviendrons au chapitre intitulé la réincarnation
            Comme nous venons de le voir et comme Sa Sainteté nous l’explique maintenant, le Dalaï-Lama est dépositaire d’une connaissance bien spécifique propre à la complexité de sa fonction:
« C’est vers cette même époque également que je reçus de Tathag Rimpotché [précepteur du Dalaï-Lama] l’enseignement particulier du cinquième Dalaï-Lama – le Grand Cinquième, ainsi que le désignent tous les Tibétains. Cet enseignement, révélé par une vision, est considéré comme particulier en ce sens qu’il est réservé au Dalaï-Lama. Dans les semaines qui suivirent, j’eus certaines expériences inhabituelles, notamment sous forme de rêves, dont la portée m’échappa à l’époque, mais que je vois aujourd’hui comme très importantes. » [LLME, pp. 52-53.]
            Habilité par sa fonction à transmettre des initiations et donc des influences spirituelles, le Dalaï-Lama est donc bien un guru comme il le déclara au printemps 1988, lors d’une session de quatre jours pendant laquelle Sa Sainteté donna une série de conférences sur le Bouddhisme tibétain à Londres.
« Pendant les trois premiers jours, je ne serai plus le Dalaï-Lama ni Bhikshu Tenzin Gyatso; je serai le professeur Tenzin Gyatso. Le quatrième jour, lors de la grande initiation de Târâ Verte, je redeviendrai Gourou Bhikshu Tenzin Gyatso ! » [MBTI, p. 18.
            Il y a lieu de préciser que dans l’hypothèse d’une rupture avec le Centre suprême, la fonction peut ne plus être effective et devenir simplement virtuelle comme les initiations qui en découlent. Ceci ne veut pas dire que le Dalaï-Lama ne serait plus porteur des influences spirituelles spécifiques. Simplement, dans ce cas la puissance de ces influences reste à l’état potentiel. L’être est en puissance d’être et ne réalise pas effectivement, ou ce qui est strictement équivalent il est en puissance de connaissance mais n’assimile pas effectivement cette connaissance.
            La qualité effective ou même virtuelle de bodhisattva n’est pas synonyme d’une sorte d’omniscience ou d’érudition totale. C’est une qualité de connaissance et non de savoir. Il en est de même pour le caractère de support humain que constitue un tulku. On comprend mieux ainsi cette réponse de Sa Sainteté.
Question: Votre Sainteté, en tant que réincarnation du XIIIe Dalaï-Lama, vous possédez la même énergie que lui au plan mental; peut-être pouvez-vous expliquer pour quelle raison vous, qui êtes un être réalisé, devez suivre un enseignement au sein de nombreuses écoles et passer des examens. Pourtant, du fait de la connaissance que vous avez de toutes ces philosophies, c’est un peu comme si une machine hypersophistiquée réapprenait les rudiments de la mécanique !
Dalaï-Lama: Je n’aurais pu atteindre ce niveau sans avoir poursuivi des études sérieuses. Il me faut donc étudier. C’est une réalité et il n’y a rien d’autre à faire. Sans doute ai-je parfois eu l’impression de comprendre sans difficulté, et sans que cela me demande beaucoup d’effort, certains points philosophiques réputés difficiles. Il est vrai que je saisis relativement vite et facilement des sujets ardus. C’est peut-être les signes de vies antérieures au cours desquelles j’ai beaucoup étudié. Pour le reste, je suis un homme ordinaire, tout comme vous. C’est ainsi ! [MBTI, p. 81.
            Il est difficile dans cette réponse de voir ce qui répond à la qualité de bodhisattva et à celle de tulku.
            Le Dalaï-Lama n’est certainement pas un homme ordinaire, mais ses propos ne permettent pas de mesurer la dimension effective de sa fonction et le degré de réalisation de son être, comme il nous le démontre dans l’ouvrage intitulé Awakening the Mind, lightening the Heart et dans ses entretiens avec John Avedon:
« En tant qu’humains, nous sommes doués d’intelligence et de courage. À condition de les utiliser, nous serons à même de parvenir à nos fins. Personnellement, je n’ai pas l’expérience de l’esprit éveillé, mais quand j’avais dans la trentaine, j’avais coutume de réfléchir aux Quatre Nobles Vérités et de comparer les possibilités d’atteindre à la libération et de développer l’éveil de l’esprit. Je pensais qu’accéder à la libération pour moi-même était à ma portée. Mais quand je songeais à l’esprit éveillé, cela me semblait tellement éloigné... je me disais que, quand bien même c’était une qualité merveilleuse, ce serait drôlement difficile d’y parvenir. » [CELC, p. 113.]
John Avedon: Avez-vous quelques souvenirs de votre naissance ou, antérieurement, de votre passage dans la matrice ?
Dalaï-Lama: Présentement, absolument pas, et je ne me souviens pas si je fus ou non capable d’un tel rappel lorsque j’étais petit enfant. Peut-être faut-il remarquer un léger signe extérieur: les enfants, en général, naissent les yeux fermés, je suis né les yeux ouverts. On pourrait l’interpréter comme l’indication d’un état d’esprit lucide lors du séjour dans la matrice. [ENTR, p. 23.]
John Avedon: J’aimerais vous questionner au sujet de l’incarnation que vous représentez, celle du Bodhisattva de la Compassion infinie Avalokiteshvara. Quels sont vos sentiments personnels à ce propos ? D’une façon ou d’une autre, pouvez-vous nous donner une réponse qui ne soit pas équivoque ?
Dalaï-Lama: Il m’est difficile de me prononcer de façon définitive. A moins de m’engager dans un effort méditatif tel que celui consistant à remonter la vie souffle par souffle, il m’est impossible d’en affirmer le bien-fondé. Nous pensons qu’il existe quatre types de renaissance. Le premier, d’un caractère courant, est celui d’un être incapable de décider de sa renaissance. Il s’incarne uniquement en dépendance de ses actions passées. A l’opposé est celle d’un Bouddha pleinement illuminé qui manifeste simplement une forme physique dans le but d’aider les autres. Dans ce cas précis, il est clair que la personne est un Bouddha. La troisième catégorie inclut l’être qui, grâce à ses réalisations spirituelles antérieures, est en mesure de choisir ou au moins d’influer sur le lieu et les conditions de la renaissance. Enfin, le quatrième type est appelé la manifestation bénie. En ce cas, le personne reçoit une influence qui lui donne le pouvoir, surpassant ses capacités ordinaires, d’accomplir des fonctions bénéfiques telles que l’enseignement de la religion. Pour ce dernier type de renaissance, la personne a dû particulièrement souhaiter dans ses vies antérieures, d’aider autrui. C’est pourquoi elle obtient une telle transmission de pouvoir. Bien que certaines de ces renaissances paraissent plus probables que d’autres, je ne puis dire exactement quel est le cas me définissant. [ENTR, pp. 29-30.]
            Tout ceci montre à quel point il est difficile de répondre à la question « Qui suis-je ? ».
            Dans le recueil des conversations de Râmana Maharshi avec différents interlocuteurs on trouve cette réponse de celui que beaucoup considère comme un Délivré-vivant, un jîvan-mukta (état d’être qui n’est comparable ni à celui de bodhisattva, ni à celui de tulku):
            « Le jnânî ne voit personne qui soit ajnânî. De son point de vue, chacun est un jnânî. Dans l’état d’ignorance, on surimpose cette ignorance à ce qui est réellement l’état de jnânî... » [Talks with Sri Ramana Maharshi, p. 480.]
Le jnânî est celui qui est établi dans l’état de connaissance (jnâna) effective. Pour lui il n’y a plus de distinction entre le Connaissant, le Connu et la Connaissance. l’ajnânî est celui qui est un jnânî virtuel, qui surimpose faussement cette distinction.
            Supposez que vous ayez reçu en héritage la grande maîtrise de l’Ordre du Temple, des gardiens de la Terre sainte et que cette Terre sainte ne soit rien d’autre que le royaume du Prêtre Jean. Vous n’aurez alors encore qu’une vague idée que ce que peut-être l’héritage du Dalaï-Lama.
            Mais on ne peut aborder l’enseignement de Sa Sainteté sans avoir fait effort pour assembler toutes les facettes de sa personnalité. Nous disons bien personnalité et non pas individualité. "Esprit, âme, corps" et non pas simplement cette notion vague et réductrice du moi individuel.

Le Bouddha
            Tradition récente, le Bouddhisme présente des caractéristiques bien spécifiques. Son fondateur n’appartenait pas à la caste sacerdotale, celle des brâhmanes mais à la caste royale, celle des kshatriyas. Il était fils de roi. Bien qu’initiateur du Bouddhisme, Shâkyamuni, le Bouddha, ne lui a pas légué une langue sacrée. Car si les Hindous ont pour langue sacrée le sanscrit comme les Musulmans ont la langue arabe, les Bouddhistes comme les Chrétiens n’ont pas de langue sacrée et donc pas de textes que l’on peut qualifier de révélés. Un Bouddhiste ne peut ainsi se référer aux textes avec la même assurance qu’un Hindou consultant la révélation du Véda (shruti) ou un Musulman celle du Coran (Qurân).
            Ecoutons le Dalaï-Lama sur cette question délicate.
« A mon avis, le bouddhisme en général – et le bouddhisme mahâyâna en particulier - est très proche de la démarche scientifique. Considérez, par exemple, que le Bouddha lui-même a donné plusieurs sortes d’enseignements, selon qu’ils étaient publics ou non. D’après le mahâyâna, il y a eu trois mises en route de la Roue - c’est ainsi que l’on appelle traditionnellement les trois cycles cardinaux des enseignements du Bouddha. Les enseignements exposés en ces trois occasions sont littéralement contradictoires - certains de leurs éléments sont réellement incompatibles. Dans la mesure où ces enseignements sont d’authentiques paroles du Bouddha lui-même et qu’ils se contredisent l’un l’autre, comment déterminer lesquels sont vrais et lesquels ne le sont pas ? Si l’on décidait de faire la distinction en fonction de citations scripturales, il faudrait forcément faire appel à des critères d’évaluation extérieurs pour en valider l’authenticité. Si bien que la validation finale doit se faire, en dernière instance, en se fondant sur l’autorité de la raison, de la logique. Un exemple: dans certains sûtras, Bouddha dit que les choses existent intrinsèquement et, dans un autre, il déclare qu’elles n’ont pas d’existence intrinsèque. Dès lors, que faire ? La seule solution consiste à établir une conclusion par le raisonnement, et non pas simplement sur la base d’une autre autorité scripturale. C’est pourquoi les bouddhistes mahâyânistes partagent les paroles du Bouddha en deux catégories: celles qui sont définitives, et les autres, qui requièrent des explications supplémentaires; les unes sont littérales, les autres non. 
Ce que je viens de vous exposer part du point de vue que tous les enseignements du Bouddha – du mahâyâna comme de l’hînayâna – sont authentiques et qu’ils ont été réellement donnés par le Bouddha lui-même durant sa vie. Il existe néanmoins un autre point de vue, selon lequel les propos authentiques du Bouddha, ses enseignements d’origine, se trouvent uniquement dans les sûtras du hînayâna, qui sont clairs, très pratiques et simples. Selon cette perspective, la doctrine bouddhiste tardive, qui n’est pas attribuée au Bouddha lui-même, serait devenue plus complexe et plus confuse. Je n’en suis pas sûr. Il n’empêche que cette vision des choses est fondée essentiellement sur des faits historiques, car ce sont bien les enseignements du hînayâna que le Bouddha a donnés en public. Donc, dans la perspective du hînayâna, il va de soi que le Bouddha n’a enseigné que le Tripitaka, les Trois Recueils scripturaux ou les Trois Corbeilles formant la tradition hînayâna. À les analyser, certaines contradictions ont pu apparaître, divers points manquaient de clarté, d’autres étaient sujets à réfutation. Afin d’y répondre, des ajouts vinrent ensuite. Ainsi, au fil de l’histoire, les enseignements s’amplifièrent en vertu de la découverte, par la voie de l’analyse, d’imperfections ou de points faibles. Pour le hînayâna comme pour le mahâyâna, l’analyse et l’examen par le raisonnement logique, attitude bouddhiste primordiale, sont très importants. Une fois un fait établi par la recherche, il faut l’accepter, même s’il semble en contradiction avec la parole du Bouddha. C’est pourquoi j’ai le sentiment que l’attitude bouddhiste fondamentale est assez analogue à l’attitude du scientifique. Soyez ouvert et cherchez, trouvez quelque chose et confirmez-le, puis acceptez-le. Quelle que soit votre voie, que vous pensiez que tous les enseignements du hînayâna et du mahâyâna ont été enseignés par le Bouddha, ou bien que les seconds ont été progressivement élaborés plus tard, de toute façon l’accent est fermement mis sur votre propre analyse et votre recherche personnelle, et non pas sur une simple adhésion dogmatique par la foi en Bouddha. » [PASS, pp. 53-55.]
            Cette déclaration du Dalaï-Lama permet de mesurer la difficulté pour se mettre à l’écoute de l’enseignement du Bouddha. Sans langue sacrée et donc sans révélation si ce n’est la personne même du Bouddha, les écritures de la tradition bouddhiste demandent à ceux qui veulent les étudier un discernement particulièrement aiguisé. Il faut avoir une grande capacité d’intuition intellectuelle pour faire apparaître une complémentarité dans le foisonnement des contradictions apparentes et en dégager alors une synthèse, signe même de l’expression de la vérité.
            Comme le montre cette autre déclaration dans l’ouvrage intitulé Awakening the Mind, lightening the Heart, Le Bouddha est bien le porte-parole infaillible de la Vérité:
« En revanche, le fonctionnement très subtil de l’action et de ses résultats, ou le karma, est diablement difficile à comprendre pour l’esprit humain. Des gens du commun comme nous ne sauraient saisir des phénomènes aussi extrêmement obscurs par la perception directe ou le raisonnement. L’analyse la plus poussée ou l’examen le plus approfondi ne nous seraient ici d’aucun secours. Il nous faut nous en remettre à quelqu’un qui en a l’expérience et la connaissance, tel le Bouddha Shâkyamuni. Nous ne le faisons pas en disant simplement qu’il est grand ou inestimable. Nous nous en tenons à ses paroles. C’est justifié, car un Bouddha ne ment pas; il possède une grande compassion et un esprit omniscient, qui résultent de l’éradication de toutes les illusions et obstructions mentales. La bienveillance aimante du Bouddha est inconditionnelle et universelle. Son unique mission est d’aider les êtres sensibles de la façon la mieux appropriée. Outre sa compassion universelle, il est doué de la sagesse appréhendant directement la vacuité. Ces attributs de compassion et de sagesse le qualifient en tant que maître authentique. Il est quelqu’un sur qui l’on peut compter quand notre propre raison faillit. [CELC, pp. 99-100.]
            Si sur le "fond" le Bouddha ne peut mentir, celui qui veut recevoir son enseignement doit savoir lire la "lettre" pour y reconnaître pleinement la Vérité.
            Il faut faire preuve de discernement et ne pas être égaré par les imperfections de la traduction des propos du Dalaï-Lama du tibétain en anglais [puis en français], sinon on pourrait croire que Sa Sainteté ne distingue pas la Vérité, qui est Une et universelle, de ses formes d’expression multiples:
« Je dirais que même la vérité n’a pas nécessairement un seul aspect, mais que nous pouvons en avoir une conception multidimensionnelle. C’est le point de vue, particulièrement, du système philosophique madhyamaka, où la notion même de vérité revêt une dimension relative. Elle n’existe qu’en relation avec l’erreur, et ce n’est que par rapport à une autre perception qu’une chose peut être dite vraie. Mais postuler un concept de vérité atemporel et éternel, dénué de tout cadre de référence, serait très problématique. Prenons par exemple le cas des enseignements du Bouddha donnés à des occasions diverses, dont certains, à première vue, peuvent donner l’impression d’être contradictoires. Par exemple, les enseignements du Bouddha sur le "moi" (...), donnés à ceux qui ont de fortes inclinations à affirmer l’existence du moi, s’opposent à son enseignement de base sur le "non-moi" (...). Et même (...) la doctrine de la non-existence de l’âme ou du moi d’une personne que le Bouddha enseigna aux adeptes des écoles philosophiques inférieures comme les systèmes vaibhâshika et sautrântika, doit être regardée comme vraie. Ceci parce que, compte tenu de la perception et de la compréhension de son public à une époque, dans un environnement et un contexte donnés, c’était la vérité. C’est ainsi qu’il faut comprendre la notion de vérité dans le bouddhisme. Une école philosophique plus élevée, comme le madhyamaka, répondrait que cet énoncé contredit la raison, que cette conception de [la non-existence] (...) n’est pas la vérité finale et entière. Cependant, l’école madhyamaka ne franchirait pas l’étape suivante qui consisterait à dire que le Bouddha a donné un enseignement erroné. Même eux, diraient que c’est un énoncé vrai parce qu’il est vrai dans les limites de ce contexte et de cette situation particuliers. [PBEJ, pp. 88-89.]
            Pour bien faire comprendre qu’il ne faut pas confondre la Vérité et les formes d’expression que l’on peut lui donner (expressions qui doivent laisser une place indispensable à l’inexprimable), nous ferons appel à une illustration arithmétique.
            Considérons le nombre 10. Seul le nombre est identique au nombre 10, comme seule la Vérité s’identifie à la Vérité ou le Tout au Tout.
            Si maintenant nous cherchons à exprimer le nombre 10 par un assemblage de nombres distincts les uns des autres, nous obtiendrons des expressions différentes du nombre 10. Différence qui ne confine pas à la contradiction. Ainsi le nombre 10 peut être la somme de deux nombres distincts:
10 = 1+9 = 2+8 = 3+7 = 4+6
            De même la Vérité peut être perçue comme une synthèse de l’essence et de la substance, comme une intégration du Non-Être et de l’Être, etc.
            Mais le nombre 10 peut aussi être la somme de trois nombres:
10 = 1+2+7 = 1+3+6 = 1+4+5 = 2+3+5
            On pense à la Vérité sous la forme du Triratna: Buddha, Dharma, Sangha, ou sous la forme de la Trinité: Père, Fils, Saint-Esprit. Mais de même que la série de nombres de chaque somme ne peut s’identifier terme à terme, de même les symboles de la Trinité ne peuvent s’identifie au ternaire du Triratna, le triple joyau.
            Nous avons bien à faire ici à deux expressions atemporels et éternels de la Vérité qui ne s’excluent ni ne se contredisent. Seule la facette de la Vérité a changé, mais pas la Vérité en soi, ni la part de l’inexprimable.
            L’enseignement du Bouddha comme celui du Dalaï-Lama demande pour être bien compris une perspicacité suffisante afin de ne pas se laisser détourner par les apparences et les pièges de la traduction. Il faut pouvoir entendre le discours implicite qui est souvent plus présent que la forme explicite.

Hindouisme
            Le Dalaï-Lama nous indique clairement la voie à suivre pour approfondir son enseignement. Cette voie est comme un retour aux sources, celles des doctrines hindoues. Deux remarques de Sa Sainteté vont nous le confirmer (extraites des ouvrages intitulés respectivement My Land and my People et Sleeping, Dreaming, and Dying):
« Peu à peu, je saisissais aussi tout ce que nous devions à ces maîtres - des Indiens avant tout - qui avaient donné aux Tibétains leurs inestimables doctrines religieuses (...) Les religions et la vie sociale de l’Inde et du Tibet se sont développées selon des lignes différentes, mais le Tibet n’en demeure pas moins un enfant de la civilisation indienne. » [MPMP, pp. 38-39 et 121.]
« Toute la présentation des déités dans les mandalas vient de l’Inde, et par conséquent repose sur la culture indienne. » [DRMO, p. 273.]
            On peut trouver de nombreuses illustrations de la capacité des doctrines hindoues à éclairer les propos du Dalaï-Lama
            Dans l’ouvrage Ocean of Wisdom, le Dalaï-Lama précise:
« Le Vide signifie non-soi, absence totale d’existence intrinsèque. C’est comme un zéro. Le zéro n’est rien d’autre que zéro. C’est-à-dire rien. Cependant, sans le zéro, on ne peut créer les nombres 10 et 100. Il en est de même pour le Vide. Le Vide est le Vide, mais en même temps, la base de tout. » [OCSA, p. 59.]
            Il faut bien comprendre que ce n’est pas le vide proprement dit mais ce qu’il représente qui sert de symbole pour rendre compte d’une réalité purement spirituelle.
            Dans le langage courant, le vide désigne un contenant sans contenu, on parle ainsi d’une bouteille vide. En réalité ce vide n’est qu’apparent, car l’eau qui remplira cette bouteille chassera l’air qui y était retenu. On parle aussi du vide sidéral. Mais là encore ce vide n’est qu’apparent puisque l’espace est dense de tous les champs de forces qu’il héberge. En vérité ce que ce terme doit désigner c’est l’absence de toute forme ou aspect de la manifestation qu’elle soit grossière (matérielle) ou subtile (psychique au sens large). Le vide est l’absence d’être à tout point de vue. Si notre monde est une possibilité de manifestation, le vide est résolument une possibilité de non-manifestation et c’est par abus de langage que l’on peut parler du vide comme de quelque chose qui peut exister au sens de se manifester.
            Mais si le vide est une possibilité de non-manifestation, comment peut-il devenir le symbole de la base du Tout ?
            Car le Tout contient bien évidemment l’intégralité des possibilités de manifestation, tout ce qui est. Mais aussi l’intégralité des possibilités de non-manifestation, tout ce qui n’est pas. Le Tout doit ainsi détenir le principe de tout ce qui est, comme le principe de tout ce qui n’est pas sans être le néant. C’est-à-dire l’Être et le Non-Être. L’Être qui est le principe de manifestation et qui n’est pas manifesté et le Non-Être qui est le principe du non-manifesté et donc de l’Être. On voit ainsi que le Non-Être loin de représenter le néant pur et simple peut symboliser le principe du Tout ou plus simplement le Tout puisqu’il est son propre principe, l’Infini.
            On voit ainsi que le vide qui est qu’une simple possibilité de non-manifestation peut devenir le symbole du Non-Être et donc du Tout, de l’Infini. De la même façon le zéro qui n’est pas un nombre mais le principe de l’unité est donc principe des nombres, comme le Non-Être est le principe de l’Être, peut lui aussi être le symbole du Tout. Ainsi le Tout est le Tout, comme le Vide est le Vide ou l’Infini est l’Infini.
            Il est très important de bien comprendre que si le Tout est ce qui représente la Possibilité universelle, l’Infini, il ne faut pas le concevoir comme un assemblage de parties absolument distinctes. Il est en réalité absolument continu. On peut le comprendre tout de suite en considérant une individualité humaine. Si cet individu était absolument distinct du Tout, de l’Infini, ce qu’il représente est bien évidemment fini. La totalité de ce qui est autre que cette individualité ne contenant pas cette même individualité est également finie. Ainsi la réunion de ces deux ensembles finis ne peut être infinie.
            Ainsi toutes les limitations, toutes les déterminations ne peuvent être que relatives. L’Infini est absolument libre. De même un individu ne doit pas se concevoir comme absolument détaché du Principe suprême, du Non-Être, du Tout. La pleine réalité d’un être est de connaître effectivement cette union totale avec le Principe suprême. Union qui est de toute éternité. Sinon l’Infini ne serait pas Infini puisque cet être en serait alors absent, ce qui est une impossibilité radicale.
            On peut comprendre ici les propos de Râmana Maharshi disant que tout être est un jnânî, puisque tout être est éternellement identifié dans l’Infini même s’il ne le réalise pas effectivement.
            Comme le Dalaï-Lama nous l’a fait entendre, on ne peut véritablement comprendre le Bouddhisme tibétain sans avoir une connaissance suffisante de la tradition hindoue, de sa métaphysique, de sa cosmologie. Ainsi les textes du Vedânta, ceux qui concluent le Véda, devraient être pris impérativement en compte. Ouvrons la Brihad-âranyaka-upanishad. Nous pouvons y lire ceci:
« Après ce qui avait pour commencement ceci ou cela.
On déclare: "Non ! (ni ceci !), Non ! (ni cela !)"
"Non !, en effet, après ceci ou cela. "
"Non ! (ni ceci, ni cela), déclare-t-on.
Il n’est rien d’autre que le Suprême. » (II, 3, 6)
            Cette formulation métaphysique, neti neti, ni ceci ni cela, clef de l’enseignement non-dualiste, est aussi, comme on peut le constater, l’une des clefs de l’enseignement du Dalaï-Lama.
« Il importe d’être familier avec le concept bouddhiste de fonctionnement de la pensée conceptuelle, par opposition à la perception directe, en rapport avec un objet. Quand la pensée conceptuelle opère par rapport à un objet, elle tend à le faire au moyen de l’exclusion. Il s’agit là d’un aspect majeur de l’épistémologie bouddhiste. Comment identifier quelque chose ? Par une suite de négations: "Ce n’est ni ceci ni cela...", jusqu’à ce que vous arriviez à ce qui échappe à ce processus d’exclusion. N’importe quelle entité, comme un livre, a diverses facettes. Par exemple, ce n’est qu’un livre. Mais il y a l’impermanence de ce livre, sa qualité d’être un produit, d’être blanc, et ainsi de suite. Lorsque l’esprit conceptuel reconnaît ces aspects;, il le fait de manière très sélective. Si bien que, même si le soi d’une personne est une entité, on peut distinguer maints aspects différents. Voyez par exemple moi-même. Il y a un soi qui est un moine, un soi qui est tibétain, un soi qui vient de l’Amdo (une région du Tibet), etc. Il y a plusieurs soi différents. Certains préexistent à d’autres. Par exemple, le soi qui est tibétain existe avant celui du moine. Le soi d’un moine n’est acquis qu’à partir du moment où quelqu’un devient moine. » [PASS, p. 159.]
            On peut citer cette strophe du très célèbre Âtma-bodha (la Connaissance du Soi) attribué à Shankara, le plus grand maître de la non-dualité:
« Prenant à tort le moi (le vivant, jîva) pour le Soi (Âtmâ),
l’homme est effrayé,
comme quelqu’un qui, par erreur, prend une corde pour un serpent.
Mais il est tout à fait libéré de la peur,
s’il se connaît non en tant que moi,
mais en tant que le Suprême Soi. »
            Il n’est pas surprenant de trouver une référence implicite à ce point de vue dans l’ouvrage intitulé Awakening the Mind, lightening the Heart où Le Dalaï-Lama précise:
« L’idée fausse du soi appréhende son objet sur le mode suivant: que l’objet soit une personne ou une entité physique, si vous le voyez non pas comme simplement désigné par l’esprit, mais doué d’une existence objective, c’est ce qu’il faut nier. Cette absence d’existence au sujet d’une personne est appelée absence d’être en soi de la personne, et à propos du corps ou d’autres entités physiques, elle est dite absence d’être en soi des phénomènes. Le soi est quelque chose qui a une existence intrinsèque sans dépendre de rien. Son absence est l’absence d’être en soi. Et elle est de deux sortes: des personnes, et des phénomènes. Pour comprendre le concept de phénomène en tant que désigné - dépendant simplement de noms et de concepts -, on peut prendre l’exemple de la corde et du serpent. En apercevant une corde roulée au crépuscule, vous pouvez la prendre par erreur pour un serpent et vous avez peur. En vous rapprochant de la corde, vous verrez qu’elle n’a aucune caractéristique de serpent, ni forme ni couleur, rien; vous êtes incapable de détecter le serpent dans la corde. De même, on a beau s’appeler Untel ou Unetelle, si on essaie d’analyser qui nous sommes réellement et en nous efforçant de débusquer ladite personne dans notre ensemble de composants physiques et mentaux, nous serons incapables de la trouver. Tout comme le serpent n’existe pas dans la corde enroulée, les phénomènes n’existent pas par eux-mêmes, quelque part, "juste là" dans les objets eux-mêmes. Dans notre dénomination, nous nous trompons quand nous prenons une corde pour un serpent; nous serions incapables de trouver le moindre reptile en le cherchant sur cette base. De même, on peut parler de quelqu’un et de ses possessions, mais à chercher la personne réelle, nous ne la trouverons pas. Mieux encore, que nous lui donnions un nom tibétain, indien ou anglais, on se réfère à quelque chose. Mais en la traquant par analyse, sans nous satisfaire uniquement du label ou du concept, nous ne la découvrirons point. Cela montre que rien n’existe de par soi; Ce qui n’indique pas pour autant que les choses n’existent pas du tout, car nous pouvons établir un rapport avec elles. Attendu qu’elles existent uniquement sur le mode conventionnel ou relatif, on peut seulement dire qu’elles existent par dénomination. Après avoir mal perçu un serpent dans une corde enroulée, on cherche sans découvrir le moindre aspect du serpent dans la corde - ni dans son assemblage de parties, ni dans la corde elle-même, pas plus que dans l’une de ses parties. Le serpent imputé à la corde n’existe pas. Néanmoins, le soi posé sur la base de la collection de composants physiques et mentaux d’une personne existe bel et bien. Donc, les choses n’existent pas simplement d’avoir été mentalement créées. Si bien que la question est de savoir pourquoi, en posant le label serpent sur la base du corps du serpent, il existe, mais quand on applique le même label à la corde, il n’existe pas. Qu’est-ce qui distingue les deux ? La différence, c’est que le label posé sur la base du corps du serpent répond à une convention, il existe donc au niveau conventionnel. Quand le label serpent est appliqué sur la base d’une corde enroulée, il n’est même pas accepté conventionnellement. Ainsi, quand on parle de "je" ou de soi, quel que soit le phénomène choisi pour examen, il n’y a pas d’entité substantielle de la part de l’objet. Les phénomènes dépendent d’autres causes et conditions, et par conséquent, ils n’existent pas par eux-mêmes. Ils n’ont pas d’existence intrinsèque. Autrement dit, il n’y a point d’auto-existence. » [CELC, pp. 208-210.]
            Le terme sanscrit âtmâ que nous avons traduit par "Soi" dans la traduction de l’Âtma-bodha est dans les déclarations du Dalaï-Lama généralement traduit par "je" ou "soi", mais aussi par "moi". Il est vrai qu’en sanscrit ce terme peut s’appliquer à l’aspect le plus limité de l’être, à son individualité, au moi, mais il peut, échappant ainsi à toutes les limitations, s’identifier à l’Infini. En le traduisant par "Soi" on montre ainsi cette identification. Le "non-soi" devient alors ce qui cache cette identification, ce voile est d’ailleurs illusoire en vérité. Si la traduction des propos du Dalaï-Lama est parfois difficile à suivre, cette réponse devrait permettre au "Soi" de briller: le "soi pur".
Question: (...) Normalement, quand les gens entendent l’enseignement bouddhiste sur le non-soi, ils interrogent: "Comment est-ce possible ? S’il n’y a pas de soi, comment expliquer qu’il y ait continuité ?" Il serait peut-être intéressant de savoir si vous voyez cette continuité uniquement au sens de mémoire épisodique, événementielle ?
Dalaï-Lama: Quand les bouddhistes parlent de la doctrine du non-soi, ils ne font pas référence au soi pur, car lui est là. Tout comme vous pouvez constater que ce corps était physiquement différent quand j’étais jeune, de la même manière vous pouvez en référer à votre soi du temps de l’enfance. Le soi est une désignation fondée sur la continuité des agrégats. Tout comme votre corps physique est la continuation du corps physique de l’enfant, il y a pareillement un soi qui est nommé en référence à ce qui maintient la continuité. Je pense qu’une clarification est nécessaire pour ce qui est du terme bouddhiste de "soi pur". Lorsque nous l’employons en philosophie bouddhiste, il n’exclut aucun de ces principes; il exclut uniquement l’existence inhérente du soi. [PASS, p. 158.]
            La doctrine bouddhiste demande donc parfois à être explicitée. On doit ainsi voir que la notion de "Non-Soi" peut être aussi identifié au Non-Être, si l’on considère que le "Soi" paraît limité à l’Être. Ainsi s’évanouit toute trace de limitation, de détermination. L’Infini est ainsi au-delà du Soi et du Non-Soi. On comprend ainsi que le Bouddhisme tibétain ne nie pas la réalité du "Soi suprême", de l’Âtmâ. Le Dalaï-Lama s’oppose à l’ignorance. Dans l’ouvrage intitulé Awakening the Mind, lightening the Heart, il précise:
« Qu’est-ce que l’ignorance ? C’est le facteur opposé, le contraire de la conscience ou connaissance. Ce n’est pas simplement quelque chose d’autre que la conscience, ni son absence pure et simple. C’est à l’opposé complet de la conscience ou connaissance, conscience se référant ici spécifiquement à la sagesse qui comprend qu’il n’y a pas de soi, pas d’existence indépendante. L’ignorance implique deux sortes de conceptions erronées du soi: celle des personnes, et celle des phénomènes. On fait une distinction entre les deux, car la personne est celle qui possède ou observe. Toutes les possessions et autres objets liés à la personne sont des phénomènes. C’est la personne qui veut accéder à la libération et jouir du bonheur. En vertu de l’ignorance ou de notre conception erronée du soi, l’on commence par saisir notre propre soi comme doté d’une existence propre. Puis, on identifie ses possessions comme "miennes". L’objet de la conception erronée du soi par rapport aux personnes est le "je" conventionnel. Et ses objets liés aux phénomènes sont les phénomènes conventionnels. L’ignorance les exagère, percevant personnes et phénomènes comme existant indépendamment ou intrinsèquement. Afin d’établir l’absence d’existence en soi, il faut contester ces exagérations. Il convient cependant de prendre soin d’identifier seulement ce que nous cherchons à dénier. Si l’on faillit à faire la différence entre l’existence vraie et la conventionnelle, nous risquons d’aller trop loin, jusqu’à nier l’existence en général. Nous serions alors incapables d’affirmer l’existence même des personnes et des phénomènes. Il s’ensuivrait que nous serions dans l’impossibilité de démontrer l’existence de la voie, et donc de l’éveil plénier du Bouddha qui en résulte. Nous serions également incapables de justifier l’infaillibilité du principe de la cause et de l’effet. » [CELC, pp. 205-206.]
            Voyons cette autre strophe de l’Âtma-bodha de Shankara:
« N’étant pas opposé à l’ignorance (a-vidyâ),
le karma ne la détruit pas;
par contre, la connaissance (vidyâ) détruit l’ignorance
aussi sûrement que
la lumière dissipe les ténèbres. »
            Shankara nous montre la voie de la compréhension qui est indifférente au karma, aux actions et réactions concordantes. Seule la Connaissance est source de réalisation, d’éveil, elle nous délivre de l’illusion des phénomènes sans en nier la réalité toute relative.

Bouddhisme et Christianisme
            Si l’on tente de comparer le Bouddhisme et le Christianisme, on peut être frappé par un certain nombre de similitudes. Comme le fait remarquer le Dalaï-Lama, l’une de ces correspondances est de voir que le Bouddha comme le Christ sont l’expression même des révélations respectives des traditions qu’ils initient:
« La comparaison entre deux traditions spirituelle anciennes comme le bouddhisme et le christianisme révèle une similitude frappante entre les récits des maîtres fondateurs – Jésus Christ dans le cas du christianisme et le Bouddha pour le bouddhisme. Je perçois un point commun très important: dans la vie même des maîtres fondateurs, est manifestée l’essence de leurs enseignements. Ainsi, dans la vie du Bouddha les Quatre Nobles Vérités représentent l’essence de l’enseignement: la vérité de la souffrance, la vérité de l’origine de la souffrance, la vérité de la cessation de la souffrance et la vérité de la voie conduisant à cette cessation. Ces Quatre Nobles Vérités sont très explicitement et clairement manifestées dans la vie du maître fondateur, le Bouddha lui-même. Je pense qu’il en est de même avec le Christ. En observant la vie de Jésus, on se rend compte qu’elle illustre toutes les pratiques et les enseignements essentiels du christianisme. Je perçois une autre similitude dans ces deux vies: c’est uniquement par les épreuves, l’application, l’engagement personnel et le ferme attachement à ses principes que l’on peut progresser spirituellement et atteindre la libération. Ceci me semble constituer un message commun et central. » [PBEJ, pp. 57-58.]
            Comme nous l’avons remarqué pour le Bouddhisme, le Christianisme n’a pas non plus de langue sacrée et donc pas de textes révélés. Pour ces deux traditions nées dans une phase bien particulière du déroulement de la présente humanité, phase que les hindous désignent comme le Kali-Yuga, l’Âge sombre, il est significatif de voir leurs fondateurs se manifester au sein d’une famille royale.
            La Bhagavad-Gîtâ, (IV, 7), nous donne les raisons de ces manifestations de l’avatâra éternel, de ces descentes:
« Ô descendant de Bharata, toutes les fois qu’il se produit un déclin de l’Ordre (dharma) et que le désordre se dresse, alors Je me projette Moi-même ».
            Le Christ comme le Bouddha sont donc bien des avatâras. Le Dalaï-Lama, adaptant son enseignement à la mentalité moderne, préfère porter l’accent sur la manifestation de l’avatâra plutôt que sur ce qu’il représente en principe:
Robert Kiely: (...) L’un des paradoxes apparents du christianisme consiste en ce que nous appelons Jésus notre Frère et notre Rédempteur, ou notre Frère et notre Sauveur. En termes personnels, ceci peut signifier que nous sommes invités à aimer Jésus comme un être humain, comme un frère ou un époux. En même temps, nous croyons qu’il est notre sauveur, notre rédempteur, nous l’adorons comme Dieu. Ces noms nous rappellent que Jésus nous a donné la capacité de l’aimer de ces deux manières, qu’il verse sa divinité dans nos cœurs. Ceci correspond-il de près ou de loin avec les sentiments que les bouddhistes éprouvent à l’égard du Bouddha, et avec les noms qu’ils lui donnent ?
Dalaï-Lama: Étant donné la diversité des traditions bouddhistes, il ne faut pas s’imaginer qu’il existe une tradition homogène, une voie définitive pour ainsi dire. Personnellement, je préfère me rattacher au Bouddha en tant que figure et personnalité historique – quelqu’un qui a porté la nature humaine à sa perfection et est devenu un être pleinement éveillé. Cependant, selon certaines écoles de pensée du bouddhisme, le Bouddha n’est pas seulement une figure historique, mais participe aussi d’une dimension intemporelle et infinie. Dans ce contexte, bien que le Bouddha soit une figure historique, l’historicité de Bouddha Shâkyamuni serait considérée comme une démonstration habile de l’action compatissante de Bouddha se manifestant à partir de l’état intemporel et parfait du dharmakâya, ou Corps de Vérité. Bouddha Shâkyamuni en tant que figure historique est le nirmânakâya, qui signifie Corps d’Émanation: une émanation assumée de manière à correspondre aux dispositions et aux besoins mentaux d’une époque, d’un lieu et d’un contexte particuliers. Cette émanation provient d’un état de pure essence appelé le sambhogakâya, l’état de jouissance parfaite, qui a, lui aussi, émergé de l’étendue intemporelle du dharmakâya. Cependant, si nous abordons toutes ces spécificités, nous n’en retirerons que des migraines et de la confusion ! Le moyen le plus simple de considérer Bouddha Shâkyamuni sous l’angle historique est le suivant. Pour les bouddhistes, surtout ceux engagés dans la vie monastique, le Bouddha est celui qui a fondé la tradition monastique. Il est à l’origine de la lignée du monachisme bouddhique. Les moines et les nonnes pleinement ordonnés dans cette lignée doivent persévérer dans l’acception totale de leurs vœux d’ordination. Pour devenir un bhikshu, un moine pleinement ordonné, ou une bhikshunî, une nonne pleinement ordonnée, il faut être un être humain. Donc, si vous êtes en relation avec Bouddha en tant que moine pleinement ordonné, cela signifie que vous vous reliez à lui en tant que personne humaine dans l’histoire. [PBEJ, pp. 60-61.]
            Celui qui s’attache à étudier l’enseignement du Dalaï-Lama doit parfois déjouer certaines apparences. Devant une assistance peu qualifiée, le discours de Sa Sainteté peut prendre une tournure sentimentale, presque minimaliste, pour se fondre dans le moule du plus grand nombre. Mais ce piège apparent doit être contourné. Ainsi dans la citation précédente, bien que Sa Sainteté parle de "migraines et de confusions", Elle n’a pas manqué de faire un exposé sur la question très complexe des trois kâyas, les trois "corps". On perdrait tout le profit de cet enseignement si on ne le percevait pas comme s’exprimant sous forme de paraboles. Il est vrai que la traduction en anglais [et bien sûr ensuite en français] limite considérablement sa portée et affaiblit sa qualité subtile. Que ceux qui peuvent et qui veulent entendre, entendent !
            Dans l’ouvrage intitulé The Good Heart, le Dalaï-Lama établit un certain rapprochement entre les trois kâyas et la Trinité, mais il ne s’aventure certainement pas à une identification terme à terme. Il déclare en effet:
« Si l’on voulait à toute force trouver un point de comparaison dans le bouddhisme à la notion de Trinité, la première notion qui viendrait à l’esprit serait celle des trois kâyas. » [PBEJ, p. 78.]
            Cette attitude pertinente de Sa Sainteté n’a pas été perçue par Ajahn Amarao qui posa cette question:
« Vous rapprochez Père, Fils et Saint-Esprit de dharmakâya, sambhogakâya et nirmânakâya. Selon ma tradition, je les aurais rapprochés de Bouddha, Dharma et Sangha. Dans cette optique le Dharma représente le fondement de l’être, le dharmakâya ou refuge dans le dharma. Le Bouddha est comme la manifestation du Dharma. Les paroles du Bouddha sont aussi appelés le Dharma; le Bouddha en est donc la manifestation. Le Bouddha est aussi appelé "Celui qui sait", "Celui qui est conscient" et il se décrit lui-même comme "né du Dharma". Alors, le résultat de ce lien entre le Bouddha et le Dharma qu’il connaît et incarne, le résultat de cette présence de l’esprit illuminé dans le monde, c’est le Sangha que l’on peut décrire comme la communauté spirituelle ou, si l’on veut, la sainte communion. (...) Pouvons-nous dire que pratiquer le Dharma équivaut à faire la volonté de Dieu ? Ou bien serait-ce une erreur d’appréciation même de le penser?
            Il est significatif de voir que dans sa réponse, il n’est plus fait allusion à un ternaire mais à un quaternaire. Pour reprendre notre illustration arithmétique, le nombre 10 n’est pas vu comme la somme de 2+3+5 ou 1+3+6 mais comme la somme de 1+2+3+4.
Dalaï-Lama: En règle générale, maints aspects de la réalisation spirituelle – qui dans la tradition tibétaine sont classés comme le côté méthodologique de la voie – la compassion, l’amour, la tolérance, etc., semblent être les mêmes dans le christianisme et le bouddhisme. Pour aborder votre question d’une manière qui la replace dans le contexte de la tradition bouddhiste, il faut y répondre avec un langage commun à toutes les écoles de pensée de cette tradition. Toutes les écoles philosophiques bouddhistes parlent des Quatre Nobles Vérités, et toutes parlent de deux réalités: l’ultime et la relative. Même l’école Sânkhya, une vieille école indienne non-bouddhiste, parle des réalités ultimes et relatives. Mais quand on en vient à définir précisément les Quatre Nobles Vérités et les deux réalités – leurs définitions, caractères spécifiques, etc. – nous voyons apparaître de profondes différences. Ainsi pour l’école prâsangika-madhyamaka du bouddhisme mahâyâna, fondée sur l’interprétation de la pensée de Nâgârjuna par Chandrakîrti et Âryadeva, la description de l’état d’arhat – c’est-à-dire l’état de nirvâna ou de libération spirituelle – comme le conçoit la littérature bouddhique de l’abhidharma, ne serait pas acceptée comme description complète et finale du nirvâna. Selon la conception du madhyamaka, la caractérisation de la libération ou nirvâna selon les autres écoles de pensée et qui consiste à identifier les états fondamentaux d’ignorance, d’erreur et d’illusion qui obstruent la voie vers l’état d’arhat, n’est pas assez subtile. Par conséquent, si les états d’ignorance qui entravent la voie de la libération ne sont pas correctement identifiés, les antidotes préconisés ne seront pas définitifs. Le résultat que l’on caractérise comme libération ou état d’arhat, ne sera donc pas final non plus. Vous constatez qu’à l’intérieur même des écoles bouddhistes, si l’on emploie les mêmes termes – état d’arhat; shûnyatâ ou vacuité; moksha ou nirvâna; klesha ou émotions et voiles perturbateurs; etc. – ces termes n’ont pas toujours le même sens. Les termes sont identiques; les sens généraux peuvent même être identiques. Cependant, du fait que la manière de les reconnaître et de les identifier diffère selon les écoles, la compréhension finale sera très différente. Pour me résumer, je dirai donc qu’il existe des différences significatives entre une approche et l’autre. Et je crois fermement qu’à un niveau très profond, ces distinctions, ces spécificités ont une valeur. On s’en rend très bien compte en examinant les écrits profonds des grands maîtres, tels que les auteurs bouddhistes indiens du passé. Ils n’étaient pas de simples érudits avides de débattre de questions abstraites; ils étaient des adeptes dévoués et sincères du Bouddha qui se livraient à d’intenses pratiques méditatives. Non seulement ils parvinrent à des expériences et réalisations profondes, mais ils témoignèrent d’une extrême compassion envers tous les êtres sensibles. Par conséquent, je crois que les subtilités qu’ils ont perçues et exprimées sont nées de leur compassion, du sentiment de devoir partager avec autrui ce qu’eux-mêmes avaient réalisé et expérimenté. Je suis certain qu’ils n’ont pas écrit sur ce sujet pour le plaisir d’ajouter à la confusion ! [PBEJ, pp. 83-85.]
            Dans cette réponse, le Dalaï-Lama souligne l’importance de bien donner à chaque notion sa signification précise, sachant qu’un même terme peut être compris selon une pluralité de sens souvent hiérarchisés. Nous avons là encore une des clefs de cet enseignement: la synthèse s’oppose au systématisme.
            Il est fait référence au terme sanscrit moksha qui dérive de la racine MUCH signifiant "libérer". Comme nous l’avons vu seul l’Infini est libre. Il est important de comprendre que la Libération est plus qu’une extinction ce que signifie le terme sanscrit nirvâna, littéralement non-souffle (la racine signifiant "souffler"). Au sens strict le nirvâna serait l’extinction du tout dernier degré et moksha un état qui est le dépassement même de toute forme de degré, la Libération. En cela moksha est un non-état au delà de tout état possible, ce qui peut apparaître comme la signification purement métaphysique du nirvâna. La question du langage n’est pas un jeu, mais un enjeu vers la connaissance. Si ces deux mots existent c’est parce qu’ils ne sont pas strictement synonymes.
            Il faut bien comprendre que la Délivrance n’est pas le terme d’une quête, elle n’est pas la récompense de multiples efforts. La Délivrance est totalement inconditionnée. La plus haute station spirituelle concevable et réalisable est par sa condition même de station, de degré, quelque chose de déterminé et donc de limité. La Réalisation, la Délivrance, n’est déterminée par rien, n’est limitée par rien, elle est identification dans l’Infini, dans la Liberté absolue. La Réalisation est de toute éternité, nous sommes tous des jnânîs. La raison de la quête n’est donc pas la réalisation mais la destruction des voiles illusoires qui empêchent de connaître effectivement notre réalité. Les multiples efforts ne sont que les anéantissements d’un néant. Rien ne nous sépare effectivement de notre réalité. Cette "séparativité" n’est qu’une illusion, comme notre difficulté à ne pas concevoir l’Infini comme non fait de parties, l’Infini est absolument continu. Pourquoi a-t-on besoin alors de briser ces chaînes qui n’existent pas vraiment ? Simplement parce que ces chaînes ont pour nous plus de réalité que la Réalité. Mais il faut bien savoir que ces chaînes ne nous entravent pas vraiment et qu’elles peuvent s’évanouir dans l’illumination du Réel.
            Si chaque tradition reconnaît implicitement ou explicitement la possibilité de la Délivrance, la voie qui est proposée pour se libérer des entraves illusoires diffère totalement d’une tradition à l’autre. Ceci explique d’ailleurs la raison d’être des différentes traditions qui s’adaptent ainsi à une égale différence de nature des êtres.
Question: Peut-on réaliser une synthèse du bouddhisme, du judaïsme, du christianisme de l’hindouisme et des autres religions pour en former une plus universelle ?
Dalaï-Lama: Cela me semble difficile et pas particulièrement souhaitable. Cependant, l’amour étant l’essence de toutes les religions, on pourrait parler d’une religion universelle de l’amour. Mais quant aux méthodes employées pour développer l’amour, atteindre le salut, la libération, elles comportent des différences notables. Je ne pense donc pas que l’on puisse ériger un seul système de pensée ou une religion unique. Au demeurant, la diversité en ce domaine me paraît fructueuse, ces multiples façons d’indiquer le chemin constituent une richesse et un bienfait pour l’humanité. Les particularités, les prédispositions et les inclinations propres à chacun sont ainsi respectées. Malgré leurs différences, les religions ne sont-elles pas portées dans leur pratique par un même élan vers l’amour, la sincérité, la droiture ? L’humble contentement n’est-il pas l’art de vivre de tout être spirituel ? Leurs enseignements ne recommandent-ils pas la tolérance, l’amour, la compassion ? Fondamentalement, leur but est identique, elles agissent dans l’intérêt de l’espèce humaine, chacune ayant sa forme originale et des moyens spécifiques pour permettre à l’homme d’atteindre sa maturité. Se montrer trop attaché à sa philosophie, à sa religion, essayer de l’imposer aux autres avec une insistance pesante est générateur de troubles. Tous les grands maîtres comme Gautama Bouddha, Jésus-Christ ou Mahomet ont éclairé le monde de leurs enseignements dans l’unique intention de secourir leurs semblables, et non afin d’en retirer un gain pour eux-mêmes, encore moins pour semer la discorde et l’inquiétude dans le monde. Soyons seulement attentifs à nous respecter les uns les autres, mettons en commun le meilleur de nos connaissances et que chacun y puise un enrichissement de sa pratique. Même s’ils restent cloisonnés, nous ne pouvons que bénéficier de l’étude réciproque de nos systèmes puisqu’ils abondent dans le même sens. [CEBH, pp. 69-70.]
            Il faut bien voir que le fond commun, celui qui s’adresse à tous est bien évidemment de nature dévotionnelle, ce que Sa Sainteté qualifie de "religion universelle de l’amour". Mais dans sa spécificité, chaque tradition trace une voie particulière de transformation par la connaissance.
            Il nous faut citer cet extrait du livre intitulé The Good Heart où l’on mesure pleinement la faillibilité de la traduction qui ne peut rendre compte correctement de l’enseignement de Sa Sainteté:
« Déterminer la nature exacte du salut est une question complexe; Parmi les divers systèmes religieux de l’Inde ancienne, beaucoup acceptaient une forme ou une autre de la notion de salut. Le mot tibétain pour "salut" est tharpa qui signifie "remise en liberté" ou "liberté". D’autres traditions ne souscrivent pas à de telles notions. Certaines écoles maintiennent que les illusions de l’esprit lui sont inhérentes ou intrinsèques et font donc partie de la nature essentielle de l’esprit. Selon elles, il n’y a aucune possibilité de libération parce que les négativités et les illusions sont inhérentes à l’esprit et ne peuvent en être séparées. Même ceux qui acceptent une certaine idée de salut, ou de libération, divergent sur la définition et les caractères de cet état de salut. Par exemple, dans certaines écoles indiennes anciennes, l’état de salut tend à être décrit en termes d’espace ou d’environnement extérieur aux caractéristiques positives, ayant la forme d’un parasol renversé. Cependant, si certaines traditions bouddhiques acceptent la notion de salut, elles le voient davantage en termes d’état mental ou spirituel propre à l’individu, d’état de perfection de l’esprit, plutôt qu’en termes d’environnement externe. Le bouddhisme accepte tout à fait la notion de terres pures des bouddhas, états purs dont l’apparition résulte des potentiels karmiques positifs de l’individu. Il est même possible que des gens ordinaires puissent renaître et participer aux terres pures des bouddhas. Pour les bouddhistes, par exemple, notre environnement physique – cette terre ou notre planète – ne peut pas être qualifiée de monde d’existence parfait. Mais à l’intérieur de ce monde, on peut dire qu’il existe des individus qui ont atteint le nirvâna et l’illumination complète. D’après le bouddhisme, le salut ou la libération doivent être entendus comme un état interne, un état de développement mental. [PBEJ, pp. 129-130.]
            On voit ici que le mot "salut" qui ne rend compte que des possibilités posthumes propres à certaines formes traditionnelles vient parfois se confondre avec la notion de Libération, de Délivrance. Au sens strict du terme, la tradition tibétaine n’apporte pas le salut. Si le Dalaï-Lama cherche à nous faire comprendre que le destin posthume diffère selon la tradition à laquelle on peut être rattaché. La traduction ne permet pas de bien cerner les différents états de l’être que l’on peut atteindre et elle entretient une confusion entre des notions bien différentes comme celles de mental, d’âme ou d’esprit qui se réfèrent à des plans différents. Cette traduction qui entretient une confusion grave entre le salut et la Délivrance ne permet même pas de bien voir que ce que le Dalaï-Lama semble envisager ne concerne que la notion de délivrance graduelle, ce que les hindous nomment krama-mukti.
            Deux possibilités identiques à tous points de vue est une impossibilité, sinon cela revient à dire que la Possibilité universelle est limitée (puisqu’alors elle viendrait à se répéter) ce qui est impossible puisqu’elle est infinie. Ainsi aucune possibilité posthume ne peut être strictement identique. Sachant que les mondes manifestés (notre monde caractérisé par l’état humain n’étant qu’un de ces mondes) sont en nombre indéfini (nous ne disons pas infini), les possibilités posthumes sont elles aussi en nombre indéfini. On comprend alors que cette question du devenir posthume est des plus complexe.

Karma
            Le terme karma est devenu d’un usage courant dans le langage occidental. Bien que ce terme puisse se traduire simplement par "action", il rend compte de la continuité de l’Infini et donc du jeu des actions et réactions concordantes. Comme le Dalaï-Lama l’a laissé entendre dans une réponse que nous avons citée précédemment, ce terme recouvre une réalité très complexe. Suivons cet échange:
Francisco J. Varela: (...) Voyez-vous une équivalence entre la notion occidentale de transformation par l’évolution et la notion de karma ? Que voyez-vous comme similarités et comme différences ?
Dalaï-Lama: C’est là un sujet très complexe, car, dans les textes bouddhistes, la théorie du karma est très liée aux actions qui sont en relation directe avec les êtres humains, actions qui entraînent des sentiments de souffrance et de plaisir. Ainsi, dans ce contexte, l’environnement extérieur est lui aussi abordé en ces termes. Mais, lorsque vous entrez réellement dans les détails de la substance physique tangible et de l’environnement, alors je pense que ces chose-là demeurent ouvertes (non assujetties au schéma karmique). Le fait que la conscience, ou la cognition, advienne dans la nature de la clarté indique que, du point de vue bouddhiste, la connaissance n’est aucunement liée à la moindre théorie karmique. C’est la nature telle qu’en elle-même. Et de la même manière, le fait que des objets extérieurs, comme les particules, aient leur propre nature n’a rien à voir non plus avec cette théorie. Ces questions ne sont pas débattues en tant que karma. Si vous prenez par exemple, un bout de papier, il est issu du continuum de l’élément qui l’a précédé et qui joue un rôle de cause substantielle. Or, si nous regardons simplement ce papier et son origine, je doute fort que l’idée de karma entre pour quoi que ce soit dans cette approche. Mais que, maintenant, devant moi, il y ait un morceau de papier, et qu’il soit là pour mon usage - dès qu’il est contextuellement lié à moi -, c’est une affaire de karma. Le karma de qui ? De celui à qui ce papier appartient et qui l’utilise. Si le bout de papier est finalement rongé par un insecte, alors la présence de cet objet sera liée au karma de cet insecte. En ce qui concerne l’environnement extérieur, il est naturellement lié aux êtres sensibles, car les sortes d’arbres qui sont là, les fruits qu’ils portent - amers ou doux-, et la manière dont toutes ces choses sont liées aux êtres sensibles, relèvent du karma de ces derniers. En revanche, si vous dites: "Étudions les montagnes en elles-mêmes, en laissant de côté tous les organismes vivants", et que nous n’envisagions la question qu’en termes de séquences causales, une fois encore, je doute qu’il s’agisse réellement de karma ou même qu’il y ait une lointaine relation avec cette théorie, dans la mesure où ça n’a rien à voir avec les êtres sensibles. Pareillement, concernant l’évolution du cosmos dans sa globalité, si l’on revient au système du Kâlachakra et aux particules spatiales on peut dire, de manière générale, que l’évolution de l’univers est bien liée au karma des êtres sensibles. Dans l’ensemble, ils sont responsables. Mais, dès que vous abordez le particulier - si vous prenez une particule d’espace et que vous suivez son évolution pendant plusieurs milliards d’années, et toutes les interactions qui s’ensuivent avec le reste de l’environnement-, dès que vous ne vous situez plus dans le contexte des êtres sensibles qui en font l’expérience, j’ai de sérieux doutes qu’il s’agisse réellement d’une affaire de karma. Tout cela est très complexe, mais prenons l’exemple des changements climatiques. Il peut y avoir un endroit où sévit la sécheresse, tandis qu’un autre subit des inondations. Pour les scientifiques, il s’agira, dans les deux cas, d’une conjonction de causes et de conditions en un lieu donné. Mais, dans la mesure où cela affecte des êtres sensibles, en l’occurrence, le karma de ces derniers agit comme cause coopérante. Par conséquent, il y a des causes substantielles et des causes coopérantes, qui, ensemble, sont à l’origine de ces événements. Imaginez maintenant une communauté où règnent la haine ou la colère. Je pense qu’un tel état d’émotion négative pourrait avoir un impact sur l’environnement, et pourrait, par exemple, contribuer à produire une grosse chaleur ou la sécheresse. Si, dans un groupe, l’attachement ou la convoitise sont très forts et très répandus, cela pourrait être à l’origine d’un accroissement d’humidité et d’inondations. Je ne fais qu’envisager ces thèmes, je ne dis rien de défini. Qu’il s’agisse d’un individu ou d’une communauté, il est vrai que leur activité, leur comportement, leur état d’esprit, jour après jour, mois après mois, année après année, influence leur environnement. [PASS, pp. 307-309.]
            Et cette autre réponse:
« Selon les théories bouddhistes, il y a deux sortes de causes: l’une substantielle, l’autre coopérante. Quand on essaie de remonter jusqu’à la cause substantielle, on ne peut déterminer le moindre commencement. Il peut y avoir des fluctuations, mais il n’y a aucun début absolu du continuum. Si l’on suppose un début, toute une kyrielle d’inconsistances apparaît, liée à la question du pourquoi de cette émergence première. Il n’y a pas de Créateur, il y a un cycle de causes et d’effets - il ne s’agit pas ici de karma -, en ce sens que le papier vient du bois, le bois d’un arbre, etc. Si, donc, on essaie de remonter jusqu’à la cause substantielle première, et si on suppose qu’au début il y a de l’espace vide, rien, puis soudain quelque chose qui se passe, alors, il y a plein de questions sans réponses. Ça m’intéresse de connaître les réponses d’un point de vue scientifique. Dans le Kâlachakra Tantra, il est fait mention de ce qu’on pourrait traduire par des "particules d’espace", qui sont censées être la source à partir de laquelle le monde a évolué, et à laquelle il retournera au cours d’un cycle de destruction. [PASS, p. 103.]
            On se retrouve là encore dérouté par les imperfections de la traduction. On est bien en peine devant une formulation comme celle de particule d’espace. L’espace étant l’une des conditions de notre existence corporelle, il n’est pas constitué de particules. D’autre part le domaine grossier (la matière) est continu, toutes les particules dont on voudrait le voir constitué sont indéfiniment divisibles. Il n’y a pas de particule élémentaire irréductible. Le Non-Être est la cause première qui est d’ailleurs au delà de la notion de cause et de non-cause. Ce que l’on désigne par Dieu étant en fait l’aspect ontologique du Principe suprême, c’est-à-dire l’Être (qui est non-manifesté). Le débat stérile sur l’existence de Dieu ou d’un Créateur n’a pas de raison de se poser. L’Infini est l’Infini, le Vide est le Vide, le Non-Être est le Non-Être.
            Dans l’ouvrage intitulé Awakening the Mind, lightening the Heart, Le Dalaï-Lama apporte quelques précisions sur la délivrance graduelle où intervient le karma:
« La bouddhéité étant le but ultime de notre pratique, il serait utile de comprendre ce que cela signifie. Le mot tibétain pour éveil est composé de deux parties; la première se réfère à la purification, et la seconde, à l’enrichissement ou complétude. Ce que nous devons d’abord purifier, ce sont les défauts de notre esprit. Ce nettoyage n’implique pas la disparition immédiate de tous les travers, il indique l’acte délibéré d’appliquer des antidotes, puis de les éliminer entièrement. Les défauts auxquels il est fait allusion sont les sources de la souffrance: le karma, les émotions fourvoyantes, ainsi que leurs empreintes. Ils ne peuvent être éliminés que par l’application des antidotes appropriés. Les empreintes laissées par les émotions aliénantes empêchent les individus d’accéder à l’omniscience. De par sa nature même, la conscience est dotée du potentiel de tout connaître, mais des insuffisances voilent et obstruent l’esprit, lui interdisant cette connaissance. L’esprit s’en débarrasse en développant les contreparties nécessaires. Lorsque la conscience est totalement affranchie de l’obstruction, elle a automatiquement accès à la connaissance, et la personne devient parfaitement éveillée. L’état d’éveil n’est pas une espèce d’entité physique comme un séjour céleste. C’est une qualité intrinsèque de l’esprit, révélée dans la plénitude de son potentiel positif. Par conséquent, en vue d’y accéder, le pratiquant doit commencer par éliminer les négativités de l’esprit et développer ses qualités positives une à une. C’est l’esprit qui est actif dans l’application des antidotes au cours de la suppression des impulsions négatives et des obscurcissements. Il arrive un moment où émotions aliénantes et aveuglements mentaux ne peuvent plus jamais revenir. De plus, c’est exclusivement l’esprit qui est engagé dans le développement de la sagacité spirituelle et de la connaissance. Aussi modeste que soit l’énergie positive au début, en temps voulu, l’esprit s’accomplit pleinement dans la connaissance et s’éveille à la bouddhéité. » [CELC, pp. 29-30.]
            On comprend à la lecture de cet enseignement que la bouddhéité, c’est-à-dire la réalisation de l’état de bouddha, l’éveil, n’est pas la résultante d’un affranchissement mais un passage à la limite où l’être retrouve enfin la plénitude de sa nature réelle qui est celle du jnânî, de l’accomplissement dans la connaissance (jnâna). Plénitude qui n’avait jamais cessé d’être sa vraie nature.
« N’étant pas opposé à l’ignorance (a-vidyâ),
le karma ne la détruit pas;
par contre, la connaissance (vidyâ) détruit l’ignorance
aussi sûrement que
la lumière dissipe les ténèbres. »

Le soi et le non-soi
            Nous trouverons dans ce court échange toutes les incertitudes liées aux difficultés comme aux imprécisions de la traduction anglaise [et bien évidemment française].
Question: J’ai étudié l’enseignement bouddhiste sur la vacuité du soi, que l’on traduit souvent par "pas d’âme". Hier, vous avez parlé du subtil continuum de conscience passant de naissance en naissance, héritier du karma. Y a-t-il une différence essentielle entre cette conscience subtile et le concept d’âme chez les chrétiens, mise à part la question de la réincarnation que le christianisme n’accepte pas ?
Dalaï-Lama: Je ne connais pas la définition exacte de l’âme dans le christianisme, mais depuis les temps anciens en Inde, il y a des écoles de pensée affirmant l’existence d’un soi, l’âtmâ, qui est décrit comme permanent, absolu et indépendant. Ce type d’âme n’est pas accepté par le bouddhisme. [SVRL, p. 136.]
            Le lecteur est ici confronté à un imbroglio complet. L’âme n’est pas l’Âtmâ qui s’il est le Soi n’est pas le soi ! On ne trouve même pas la distinction classique entre l’Esprit, l’âme et le corps, ou cette autre distinction entre l’âme et tous les aspects du domaine subtile: les niveaux de conscience, le mental, etc.
            Le Père Laurence ne nous simplifie pas la tâche en laissant croire que le christianisme était autrefois dualiste. Il serait sans doute judicieux de s’appuyer sur le vocabulaire de la scolastique (saint Thomas d’Aquin n’était pas dualiste !) pour poser des jalons entre la tradition chrétienne et la tradition tibétaine. Mais est-ce encore possible ?
Père Laurence: (...) Autrefois, le christianisme occidental était très dualiste. On admettait que le corps et l’esprit étaient en conflit, que le corps devait être maîtrisé et dominé par l’esprit. De nos jours, nous assistons à un début de retour au sentiment chrétien primitif de l’amitié du corps et de l’esprit. Dans la vie, nous ne pouvons séparer le corps, l’âme et l’esprit, et ils doivent donc vivre en amitié. Pourriez-vous nous aider à comprendre la relation entre le corps et l’esprit d’un point de vue bouddhiste. Je peux me tromper, mais il me semble parfois reconnaître dans le bouddhisme une opposition encore plus marquée entre l’esprit et le corps que dans le christianisme.
Dalaï-Lama: Vous avez raison. Dans certains passages des écritures bouddhiques, on trouve des déclarations du Bouddha donnant l’impression d’une conception dualiste du corps et de l’esprit. Dans un des sûtras, il affirme que les cinq agrégats ressemblent à un fardeau, et la personne au porteur de ce fardeau. Le Bouddha se fait donc bien l’interprète d’un dualisme entre la personne et ses composantes psychophysiques. Mais il ne s’en suit pas que ceci est le point de vue bouddhiste. Selon l’interprétation traditionnelle, ce passage s’adresse à la personne qui serait philosophiquement tentée de croire à un âtmâ, une âme éternelle et permanente. Or, le point de vue du Bouddha sur la nature de la relation corps-esprit par rapport à l’identité de la personne, est la doctrine de l’anâtmâ. Ce principe affirme qu’hormis les agrégats psychophysiques ou skandhas dont l’être est constitué, il n’y a pas d’âme en tant qu’entité séparée, autonome et éternellement permanente. Cette doctrine est commune à toutes les écoles du bouddhisme. Bien que cet enseignement soit général, le bouddhisme est traversé de courants philosophiques qui divergent sur le point de savoir ce qui, exactement, constitue la nature du moi ou de la personne. Certaines écoles bouddhistes identifient la personne à seulement un des agrégats psychophysiques, la conscience, d’autres à la totalité des agrégats, etc. D’autres écoles de pensée adoptent une position plus nominaliste, soutenant que la personne ou le moi est une pure dénomination. [PBEJ, pp. 66-67.]
            Nous retrouvons cette traduction réductrice des termes âtmâ et anâtmâ au seul aspect individuel de l’être. Si l’on s’appuie sur le ternaire Esprit, âme, corps (Spiritus, animus, corpus) qui rend compte de la réalité du microcosme en Occident, on peut lui faire correspondre le ternaire des trois mondes: Ciel, Monde intermédiaire, Terre, qui symbolise le macrocosme. Le Monde intermédiaire n’est autre que le domaine subtil, si la Terre est le domaine grossier et le Ciel le domaine spirituel. Ce Monde intermédiaire est le plus difficile à cerner. Car, dans la voie qui de la Terre nous mène au Ciel, le lieu de toutes les errances appartient bien à ce monde subtil.
            Si l’on en vient à vouloir cerner la conscience, on doit lui reconnaître un aspect humain ainsi que des aspects infra-humain et supra-humain.
Jeremy W. Hayward: (...) Les scientifiques partent du principe que la conscience naît d’une cause matérielle.
Dalaï-Lama: Les bouddhistes ne sauraient l’accepter. La cause se divise en deux: la cause principale, ou substantielle, et la cause coopérante. La matière ne peut être qu’une cause coopérante, jamais la cause principale ou substantielle de la conscience. C’est très lié à la cosmologie. Selon le point de vue bouddhiste de l’évolution, l’univers est infini. Dans la cosmologie bouddhiste, chaque système de mondes traverse des phases. Parfois, il est détruit; parfois il émerge; parfois il y aura de la matière grossière; d’autres fois, il n’y en aura pas; mais, en réalité, il n’y a ni commencement ni fin. Et il y a toujours une conscience subtile. Donc, qu’est-ce qu’un être sensible ? Ce que l’on désigne par "être sensible", c’est une entité pourvue d’un corps et d’un esprit, et ce que l’on entend fondamentalement par "esprit", c’est l’esprit extrêmement subtil. [PASS, p. 203.]
            C’est la deuxième fois que nous croisons cette notion de dissolution cosmique. Ce que l’hindouisme nomme le pralaya. Il faut bien traduire univers indéfini et non pas infini. L’univers n’est qu’une part infime de la Possibilité universelle.
            L’ouvrage Kindness, Clarity and Insight reproduit le texte de la conférence donné par le Dalaï-Lama à l’Université Harvard. On peut y lire ce passage:
« La philosophie bouddhiste soutient la thèse du non-soi. Est-ce à dire que le soi n’existe pas ? Si c’était le cas, les individus n’existeraient pas, et il n’y aurait personne pour méditer sur le non-soi et personne à qui adresser sa compassion. Or l’expérience nous offre un démenti constant: il y a des personnes, et elles ont un soi. Alors, que signifie cette théorie du non-soi ? N’y aurait-il pas là une énorme contradiction ? Nullement. Consultez votre expérience personnelle, observez votre moi et vous allez comprendre pourquoi ce n’est pas contradictoire. Comment ressentez-vous votre moi quand vous êtes détendu ? Le percevez-vous de la même façon que lorsque vous êtes surexcité ou vous semble-t-il différent ? Supposez, par exemple, que l’on vienne vous accuser d’un forfait dont vous êtes innocent: "C’est vous qui avez commis telle et telle chose !" Qu’éprouvez-vous dans votre for intérieur au moment où vous pensez: "Moi ! Mais ce n’est pas vrai !" Comment ce moi vous apparaît-il ? Une autre façon de cerner le moi consiste à évoquer le souvenir d’un ennemi en pensant au tort qu’il vous a fait. L’ennemi qui se dresse alors dans votre esprit s’impose comme s’il existait vraiment, par lui-même, si concrètement que vous pourriez presque le montrer du doigt. Il en est ainsi de tous les phénomènes: ils semblent exister par eux-mêmes, mais il n’en est rien. Ce qui semble exister en soi est appelé le "soi", et l’inexistence d’un tel soi est ce que nous entendons par le "non-soi", qu’il s’agisse du sujet ou des autres phénomènes. Nous avons du moi – ou de la personne - de multiples images. Sous un certain angle, il semble permanent, unitaire, existant par ses propres moyens; dans ce cas, il apparaît comme une entité distincte de l’esprit et du corps, comme l’usager ou le possesseur de l’esprit et du corps. Ceux-ci sont alors considérés comme ses instruments ou son bien. Aucune thèse bouddhiste n’admet le réalité d’un tel moi. Un ou deux sous-groupes de l’école du Grand Commentaire (Vaibhâshika) émettent quelques réserves, mais ce sont des exceptions. Sous un autre aspect, le moi ressemble à une entité substantielle et autonome, mais, cette fois, de même nature que l’esprit et le corps. Cette conception répond à la fois à des formes de consciences innées et acquises. On peut aussi penser que le moi est ultimement dénué d’existence, mais qu’il existe par son caractère conventionnel. Et, enfin, il y a le concept inné d’une existence d’une existence qui lui est propre. Cette fausse conception nous le fait percevoir de façon très concrète. Cette vue erronée ne tient ni à l’éducation ni à un système de pensée particulier, elle affecte tout le monde. Telles sont les images que nous avons du soi, mais, selon les diverses écoles bouddhistes, il n’existe rien de tel qu’un soi, à aucun de ces niveaux depuis les plus élémentaires jusqu’aux plus subtils. Le mythe de son existence est ce que nous appelons le non-soi.
Mais alors qu’en est-il du je conventionnellement admis et du sentiment que j’ai d’être aidé ou entravé par les événements ? Les écoles de pensée bouddhistes répondent diversement à cette question. Pour les unes, c’est la conscience; pour les autres, ce sont les facultés mentales; certaines voient dans le moi un "esprit qui est à la base de toutes choses" (âlaya-vijnâna), distinct des facultés mentales. Mais la pensée la plus profonde revient à la voie du milieu des conséquentialistes (mâdhyamika-prâsangika). Selon elle, la personne est une simple dénomination relative aux agrégats d’esprit et de corps. Étant entendu que l’esprit est plus subtil et perdure au-delà de la vie du corps, le moi - ou la personne - est une simple dénomination relative au continuum de conscience. Le je qui vient spontanément à l’esprit en dehors de toute analyse, quand nous disons: "Je vais, je reste, etc.", n’est donc rien d’autre que ce moi relatif, nominalement dépendant, et c’est tout ce que l’on peut admettre. Étant donné qu’il est dénommé relativement aux agrégats mentaux et physiques, le moi est dépendant. Or, dépendant et indépendant forment une dichotomie et sont explicitement contradictoires. Par exemple, cheval et humain s’excluent mutuellement, mais ne sont ni dichotomiques ni explicitement contradictoires, comme dans le cas de humain et non humain. De même, dépendant et indépendant s’excluent mutuellement, puisque tout objet observé est soit l’un, soit l’autre, et qu’il n’existe pas de troisième possibilité. Le moi étant nominalement dépendant, ce qui est perçu comme un moi indépendant existant par ses propres moyens n’existe en aucune façon, et c’est pourquoi nous l’appelons le non-soi de la personne. Mais c’est en partant d’une base d’existence - le moi relatif - que nous pouvons parler d’un non-soi. Dès lors que l’on a compris ce qu’est le non-soi, on comprend forcément l’existence de sa base. Étant donné que le caractère dépendant d’une telle base d’existence est invoqué pour expliquer qu’elle est vide d’existence propre, il est clair que la vacuité ne peut être confondue avec le nihilisme. » [CEBH, pp. 187-189.]
            Cette longue citation vient confirmer ce qui a été dit précédemment sur l’ambiguïté de la nature individuelle qui génère une apparente séparativité, une surimposition, entre l’être et le Principe suprême. Cette question fondamentale de la surimposition est soulignée dans cet échange:
Question: S’il vous plaît, pouvez-vous donner une définition du moi, du soi ?
Dalaï-Lama: Ceux qui ne croient pas aux existences passées et futures ne portent probablement pas attention à cette entité, ni à sa nature; mais ceux qui font confiance à cette conception défendent différentes thèses. Beaucoup de systèmes philosophiques non bouddhistes postulent un soi permanent qui transmigre d’existence en existence. La raison en est qu’ils se rendent compte que quelque chose se transmet de vie en vie, et que ce n’est évidemment pas le corps. N’acceptant pas la conception d’une entité impermanente qui transite de vie en vie, ils pensent que c’est un soi permanent, un et indépendant, qui voyage d’une vie à l’autre. Le bouddhisme postule bien sûr un soi, mais pas en ce sens. Sentant que le moi, le soi, le je, est d’une nature qu’on peut soumettre à l’analyse, les écoles bouddhistes "inférieures" estiment que quelque chose à l’intérieur de l’impermanent assemblage de l’esprit et du corps peut être reconnu comme moi, soi, "je". Certaines de ces écoles bouddhistes proposent la conscience mentale, d’autres proposent l’esprit-base-de-tout, d’autres encore le continuum des agrégats, et ainsi de suite. La meilleure école philosophique bouddhiste, l’école madhyamaka-prâsangika, estime qu’il en va comme pour tout objet, un véhicule par exemple, qui est imputé, déduit, en dépendance de ses parties constituantes et qui pourtant ne peut être effectivement trouvé parmi elles. Ainsi la personne est seulement imputée en dépendance de ses agrégats physiques et mentaux, et ne peut pourtant être trouvée, en dernière analyse, dans aucun de ses agrégats constituants. Et il n’y a pas que le moi qui soit imputé en dépendance; tous les phénomènes le sont; même la vacuité est imputée en dépendance, tout comme l’état de Bouddha, la bouddhéité: tous les phénomènes qui apparaissent et surviennent sont désignés en dépendance de causes et de conditions. [SVRL, pp. 58-59.]
            Cette question de la surimposition (adhyâsa) trouve également son illustration dans le thème de la corde prise pour un serpent.

L’Éther du Cœur
            Nous avons rassemblé sous ce chapitre diverses réponses du Dalaï-Lama touchant à des questions cosmologiques. En premier lieu, la notion des cinq éléments qui, si on les énumère dans le sens de leur différenciation, sont: l’éther (âkâsha), l’air (vâyu), le feu (tejas), l’eau (ap) et la terre (prithivî).
John Avedon: (...) Quelle est l’énergie à partir de laquelle les phénomènes sont manifestés ?
Dalaï-Lama: En termes d’éléments, le vent vient d’abord, sa base étant l’espace. Ensuite le vent se meut, et, en dépendance de ce mouvement, la chaleur est produite. Viennent ensuite l’humidité (l’élément eau) et la solidité, c’est-à-dire l’élément terre. Si l’on devait expliquer de quoi le vent initial se trouve être la continuation, on pourrait dire qu’il provient probablement de la période de vide du système antérieur des mondes. Dans tous les cas, c’est un sujet infini. Si vous vous limitez à parler d’un seul monde à l’intérieur d’un système donné d’un milliard de mondes alors vous pouvez vous référer à un début sinon, généralement, c’est impossible. [ENTR, p. 52.]
            On voit que le mot espace vient se substituer à celui d’éther qui, comme l’indique Shankara, est répandu partout et pénètre à la fois l’extérieur et l’intérieur des choses.
Dalaï-Lama: Il serait peut-être intéressant de relever que, selon le Kâlachakra, il y a distinction entre différents niveaux des éléments. Il y a les cinq éléments extérieurs et les cinq éléments intérieurs; et, dans ceux-ci, il y a deux niveaux, un grossier et un subtil. Puis le texte fait état d’un vent très subtil, techniquement dénommé "vent support de vie", qui a la nature des cinq couleurs, des cinq rais de lumière colorés qui sont de la nature des cinq éléments. La source fondamentale de tous les éléments est cette énergie très subtile, qui partage leur essence. Elle est aussi à l’origine des niveaux subtils de l’énergie, des niveaux subtils des éléments dans le corps, qui à leur tour engendrent les niveaux grossiers. Ceux-ci, à leur tour, sont ensuite en rapport avec les éléments extérieurs. [PASS, pp. 216-217.]
            Rien dans la traduction ne permet de comprendre que le Dalaï-Lama fait référence aux cinq tanmâtras de l’ordre subtil, principe des cinq éléments proprement dits, les bhûtas. Ensuite Sa Sainteté évoque la question délicate des cinq prânas [traduit par vent plutôt que par souffle qui conviendrait mieux].
            Dans l’ouvrage intitulé Freedom in Exile, la traduction nous donne une énumération fautive des cinq "agents":
« Le calendrier tibétain est très compliqué. Il a pour base le mois lunaire et suit des cycles de soixante ans. Chaque année porte le nom d’un des cinq éléments – dans l’ordre: la terre, l’air [bois], le feu, l’eau et le fer – couplé avec celui de douze animaux, successivement la souris [rat], le boeuf [taureau], le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, le mouton, le singe, l’oiseau, le chien et le cochon [sanglier]. Chaque élément apparaît sous son aspect masculin puis sous son aspect féminin, couvrant ainsi une période de dix ans. Le premier élément est ensuite joint aux onzième et douzième animaux, le deuxième élément aux treizième et quatorzième, et ainsi de suite. Selon le calendrier tibétain, l’an 2000, par exemple, sera l’année du Dragon de Fer. [LLME, pp. 64-65.]
            Il faut bien comprendre que l’appellation des éléments comme des "agents" est purement symbolique. Le lien avec la réalité physique est bien plus "essentiel" que "substantiel". On parle ainsi de quintessence pour l’éther (cinquième essence). L’énumération des "agents" telle qu’elle apparaît dans la tradition chinoise est: eau, bois, feu, terre, métal.
            Intéressons-nous à la question des cinq skandhas, des cinq agrégats constitutifs de l’individualité.
Question: Votre Sainteté, pourriez-vous parler des relations entre les cinq agrégats et les cinq éléments ?
Dalaï-Lama: Il est tout d’abord nécessaire d’identifier les cinq agrégats: la forme, la sensation, la discrimination, les formations volitionnelles et la conscience. A l’intérieur de l’agrégat de la forme, le niveau le plus grossier est, par exemple, notre corps de chair et de sang, etc. Les niveaux plus subtils incluent les catégories des différents airs ou énergies internes: ils sont décrits dans le Yoga Tantra supérieur. Ces textes expliquent les différentes relations entre les mouvements des constituants physiques fondamentaux et les énergies internes (les airs) qui circulent dans des canaux et produisent les différents niveaux de consciences conceptuelles et non-conceptuelles. Les quatre autres agrégats sont nommés bases du nom. Ce sont la sensation, la discrimination, la formation volitionnelle et la conscience. L’agrégat des sensations et l’agrégat des discriminations sont les facteurs mentaux de la sensation et de la discrimination, qui ont été isolés de tous les autres facteurs mentaux et répartis dans leurs agrégats respectifs. Comme le dit Vasubandhu dans l’Abhidharmakosha, les raisons de ce traitement séparé sont que la discrimination est source de tous les désaccords entre les êtres, et que l’attachement qui cherche à ne pas être privé des sensations plaisantes, ainsi que l’attachement qui cherche à fuir les sensations pénibles, nous poussent à des actions négatives, ce qui a pour conséquence de nous précipiter dans le cycle des existences. Dans le quatrième agrégat, on dénombre deux types principaux de facteurs composants: ceux qui sont associés à la conscience et ceux qui ne le sont pas. Les êtres vivants que nous côtoyons ont un corps physique possédant les cinq agrégats; mais dans le royaume sans-forme, seuls existent les quatre agrégats mentaux; toutefois, selon l’optique du Yoga Tantra supérieur, il n’en est ainsi que pour la forme grossière.
Quant aux éléments, objet de votre question, il s’agit des quatre éléments fondamentaux, qui sont dénommés terre, eau, feu et air. Le premier porte le nom de terre, et indique généralement la solidité et ce qui fait obstacle. Les concepts signifiés par eau sont fluidité et humidification. Feu indique la chaleur et l’action de brûler. Air, au niveau grossier, fait référence à l’air que nous respirons, mais à un niveau plus subtil signale principalement les types d’énergies qui favorisent le développement et le changement. Par exemple, dans les textes du Kâlachakra il est dit que des courants continuent à circuler même dans un corps mort, puisqu’il continue à subir le changement. Il existe un élément supplémentaire, l’espace qui, dans le corps par exemple, indique les zones vides et les voies de passage. Le Kâlachakra parle également de particules d’espace extrêmement subtiles. De leur côté, les scientifiques parlent de minuscules particules qui, dans l’espace, servent de base aux autres phénomènes. [SVRL, pp. 59-60.]
            Signalons encore que "les airs" répondent aux aspects du prâna. Ce terme répond à une réalité dans les trois mondes, il peut être identifié au Principe suprême, apporter le souffle du domaine subtil ou n’être que le jeu de la respiration physique.
            Si l’on dresse la liste des skandhas en conservant les termes sanscrits correspondant et en suivant l’ordre donné ici, on aura:
            rûpa (forme), vedanâ (sensation), vijnâna (discrimination), samskâra (formations volitionnelles) et samjnâ (conscience). Souvenons-nous que la quintessence est bien l’éther.
            La question des skandhas interroge la notion du moi, comme le montre cette réponse du Dalaï-Lama:
Il y a différents types d’appréhension d’un soi ayant une existence inhérente. On conçoit les agrégats (skandhas) comme quelque chose à part du soi, et le soi comme un superviseur. Il s’agit là alors d’une autre notion du soi, qui ne le conçoit pas comme séparé, à part des agrégats, mais comme quelque chose parmi eux. En outre, il faut distinguer deux tendances dans la conception du soi comme superviseur. L’une considère le soi comme totalement indépendant des agrégats, comme un superviseur, sans aucune relation avec eux, l’autre identifie le soi aux agrégats, tout en lui attribuant un rôle de superviseur: il se trouve parmi eux et, pourtant, il est un tout petit plus important. Prenons l’exemple des marchands: il y a un chef, qui n’est pas différent des autres, mais, qui, en même temps, remplit une fonction. Entre ces deux types, le second est inné. Le premier, qui postule le sens du soi comme superviseur séparé des agrégats, est uniquement acquis, on ne l’a pas de manière innée. Le second, qui suppose le sens du superviseur parmi les agrégats comme le chef parmi les marchands, peut être inné. Ensuite, il y a quelque chose de plus subtil, qui est simplement la saisie de l’existence inhérente. Là, il y a trois niveaux. De la même façon qu’il a enseigné les Quatre Nobles Vérités en se fondant sur ce qui importait aux êtres sensibles, lorsqu’il a présenté la vacuité en tant que nature ultime des phénomènes, le Bouddha a divisé ceux-ci en deux catégories: d’une part, la personne, l’agent; d’autre part, la chose à laquelle la personne se relie, l’environnement ou les phénomènes extérieurs. il n’y a pas seulement deux catégories distinctes de phénomènes, il y a également deux types différents de conceptions erronées quant à leur nature. Le moyen de dépasser ces deux erreurs consiste à réaliser le non-soi, qui constitue la nature de ces deux sortes de phénomènes. Donc, il y deux sortes de non-soi, le non-soi de la personne et le non-soi des phénomènes. De façon générale, réaliser le non-soi de la personne est considéré comme plus facile que réaliser le non-soi des phénomènes, en raison d’une longue familiarité avec son propre soi. Quand vous songez: "Je vais rester ici", ou: "Je vais y aller", quand vous évoquez votre esprit naturel - c’est-à-dire non encombré par les nombreuses théories apprises en psychologie ou ailleurs -, comment votre soi apparaît-il spontanément . Il apparaît comme le "je", le propriétaire. Vous pouvez dire: "C’est mon corps." Or, sans "je", vous ne pouvez pas l’affirmer. Par conséquent, il y a un "je". Quand on montre de l’affection, de la courtoisie, ce n’est ni pour le corps de l’autre ni pour son esprit, mais pour un être humain pour son "je" à lui, n’est-ce-pas ? Quel est votre sens inné du "je" ? Concerne-t-il le "je" en vous, ou le "je" chez l’autre ? [PASS, pp. 152-153.]
            Nous avons dans l’extrait qui suit d’une autre intervention du Dalaï-Lama ajouté les équivalents sanscrits entre crochets:
(...) Laissons de côté la question concernant l’origine de la vie dans cet univers, pour en revenir à ce corps dont nous sommes aujourd’hui dotés, on en arrive au thème du thiglé ("gouttes") et des esprits subtils. Ainsi, en examinant la situation présente - nous avons un corps et un esprit-, nous sommes concernés par leur relation, ainsi que par la nature de la conscience ou cognition. Dans ce contexte, on introduit les canaux [nâdî], les énergies [prâna] et les gouttes [bindu]. J’ai le sentiment que canaux, énergies ou vents, ainsi que les gouttes pourraient bien avoir une relation assez spéciale à la neuroscience. Ce n’est pas que nous affirmions que ces centres, les chakras tels que les décrivent les textes, sont bel et bien là, car, à les rechercher par des moyens courants, on ne les trouve pas. Il convient néanmoins de mentionner leur localisation: au sommet de la tête [sahasrâra-chakra]; entre les yeux ou juste au-dessus du point entre les yeux [âjnâ-chakra]; à la gorge [vishuddha-chakra]; au cœur [anâhata-chakra]; au nombril [manipûra-chakra]; et dans la zone génitale [svâdhishthâna-chakra]. De fait, si vous dirigez votre esprit, votre conscience, vers ces points, vous ressentirez qu’il y a réellement quelque chose et que ce n’est pas simple fiction. Je crois que, dans la mesure où il y a sûrement une certaine réalité découverte empiriquement par la méditation, ce pourrait être le domaine d’un dialogue fort intéressant avec la neuroscience. Quant aux gouttes, ou bindu, il y a d’abord celle qui est liée ou associée à l’éveil du sommeil. Elle est rattachée au chakra situé juste au-dessus des yeux, ou "troisième œil". Il y a ensuite la goutte associée au rêve, celle de la gorge. La goutte liée au sommeil profond est celle du cœur; la goutte du nombril est associée à la félicité, à l’extase. Il est fort possible, à mon sentiment, qu’il y ait une relation entre ces gouttes et quelque chose qui serait à trouver en neuroscience. Et il existe certainement une analogie entre cette présentation de la conscience et la psychologie. [PASS, pp. 109-112.]
            Il importe de bien comprendre que les nâdî comme les chakras ne relèvent pas du corps grossier mais appartiennent au domaine subtil. On ne peut ni voir, ni toucher, etc., les nâdîs ou les chakras. L’être a un corps grossier dont le principe immédiat est de nature subtile. C’est par un abus ou une facilité de langage que l’on parle d’un corps subtil. Ce n’est pas un corps puisqu’il échappe comme le mental à la condition spatiale qui est une nécessité pour l’existence corporelle. Le domaine subtil est régi par un certain nombre de lois comme le domaine grossier est régi par des forces matérielles. Ainsi l’acuponcture s’appuie sur ce que l’on peut nommer "le pouvoir de pointes" qui permet de correspondre avec les courants subtils.
          Il n’est peut-être pas inutile de citer une autre strophe de l’Âtma-bodha:
« Le Soi (Âtmâ), Soleil de la Connaissance et pourchasseur des ténèbres, épanoui dans l’Éther du Cœur, brille comme l’omniprésent Sustentateur universel et illumine tout.
            Cette strophe devrait aider au décryptage des traductions de deux interventions du Dalaï-Lama (respectivement dans Gentle Bridges et dans Awakening the Mind, lightening the Heart):
Robert B. Livingston: (...) Supposez que l’un de vos collègues subisse une alerte cardiaque très sévère et que l’on vous propose de remplacer l’organe défaillant. Cela peut se faire et, médicalement parlant, cela se fait aujourd’hui, et pourrait être pratiqué ici même. Si la transplantation avait lieu, l’individu serait-il le même après ?
Dalaï-Lama: Oui. Il peut être intéressant de relever que, dans le système bouddhiste, nous avons la théorie de la goutte indestructible, que l’on dit se trouver à la place du cœur. Ce cœur-là ne doit pas être identifié au cœur physique dont il est normalement question en médecine. "Cœur" a ici une connotation différente. Parfois, on désigne ainsi un lieu central. C’est en ce sens qu’il doit être pris ici. Dans ce cas, si vous ôtez l’organe cœur, il n’y a aucune complication (...) [PASS, p. 204.]
« Dans notre corps, il y a des canaux dont certains sont visibles et d’autres si subtils qu’on ne saurait les voir. Divers textes expliquent qu’en accomplissant certaines techniques tantriques comprenant la visualisation des canaux et en se concentrant réellement sur les points vitaux du corps, cela produit un effet physique. Ce qui indique que le canal ou le point vital est bien là, quand bien même il n’est pas visible au sens physique. On peut visualiser ce que l’on appelle la goutte indestructible dans la roue du cœur. Lorsque le maître spirituel se dissout au-dessus de votre tête, il vous faut le ou la visualiser en train de se fondre dans cette goutte indestructible. Imaginez qu’il ou elle devient inséparable de votre propre esprit, et que vous recevez son inspiration. » [CELC, p. 74.]
            On ne saurait trop mettre en garde contre des applications des techniques tantriques sans le secours d’un maître véritable. Sur ce point le Dalaï-Lama est d’ailleurs intraitable (voir le dernier chapitre).

La réincarnation
            Nous voici à nouveau confronté à cette difficulté qui fait obstacle à la compréhension de l’enseignement du Dalaï-Lama, cette difficulté de trouver des termes dans les langues occidentales qui puissent rendre compte des concepts particuliers de la doctrine du Bouddhisme tibétain. Comment peut-on expliciter le devenir de l’être et notamment ses états posthumes ? Comme on a pu le voir, on parle de renaissance, parfois de transmigration mais surtout de réincarnation. Penchons-nous sur ce dernier terme qui est forgé à partir d’une notion spécifique de la doctrine chrétienne: l’incarnation, "être fait chair". On fait ainsi comprendre que la manifestation de l’avatâra éternel, la "descente", dans l’état humain sous le nom de Jésus-Christ est une incarnation. "Le Verbe s’est fait chair". On comprend ainsi qu’une manifestation de l’avatâra éternel dans un monde autre que celui qui renferme la possibilité humaine ne pourrait être qualifié d’"incarnation". La "chair" est une résultante propre aux conditions de l’existence corporelle, conditions caractéristiques de notre monde.
            Ainsi l’être qui parcourt la chaîne des mondes que le Dalaï-Lama décrit comme des "milliers de mondes" ne peut se réincarner. L’incarnation ne se produit que lorsque l’être rentre dans l’état humain et ceci ne peut se produire au mieux qu’une seule fois, la chaîne des mondes est en effet indéfinie. Même si l’on peut parler pour le Christ d’une seconde venue, ceci doit se comprendre comme une nouvelle manifestation de l’avatâra éternel et non comme une re-manifestation de Jésus. Et si l’on peut parler symboliquement des vies antérieures du Bouddha, celles-ci ne sont pas des réincarnations, mais des manifestations formelles ou informelles dans des mondes tous différents. Le Bouddha n’a connu qu’une vie dans notre monde, notre univers. Penser que l’on puisse revenir deux fois dans un même monde revient à limiter la Possibilité universelle et donc nier l’infinitude de l’Infini, ce qui est une absurdité.
            Le terme réincarnation, forgé il y a peu, ne peut convenir pour rendre compte des états posthumes. Lorsque l’on parle de renaissance, ce qui peut être symboliquement compréhensible, on ne fait que rendre compte du processus comparable à la naissance dans ce monde lorsqu’il se produit dans un autre monde. Le terme réincarnation devrait ainsi être proscrit et remplacé par celui de renaissance qui est moins ambiguë.
            Voici un exemple de cet emploi fautif qui altère les propos du Dalaï-Lama:
« Selon notre conviction, le Kalpa (éon) actuel verra la venue dans notre monde de mille réincarnations de bouddhas suprême. Avant de connaître l’état de perfection, ces bouddhas auront été des créatures vivantes pareilles à nous. Ils auront la capacité de manifester des réincarnations de leur esprit, de leur corps et de leur parole en des millions de formes en un instant, pour le bénéfice de tous les êtres vivants dans des milliers de mondes pareils au nôtre. Chacune de ces incarnations suprêmes enseignera sa propre doctrine et sera éternellement active pour le salut de toutes les créatures. » [MPMP, p. 200.]
            Voyons plus en détail la question des états posthumes. Dans l’ouvrage intitulé The Way to Freedom, le Dalaï-Lama commente (chapitre La renaissance):
« Tôt ou tard, nous allons mourir, et tôt ou tard, il nous faudra naître à nouveau. Les royaumes d’existence où nous pouvons renaître se limitent à deux, le favorable et le défavorable. Le lieu où nous reprendrons naissance dépend du karma. Le karma est créé par un agent, une personne, un être vivant. Les êtres vivants ne sont rien d’autre que le soi, imputé sur la base de la continuité de la conscience, dont la nature est luminosité et clarté. Un agent connaissant, précédé d’un moment antérieur de conscience, en est la cause. Si l’on arrive à comprendre que la continuité de la conscience ne saurait être épuisée en une seule vie, on y trouvera un argument logique en faveur de la possibilité de la vie après la mort. Sans être convaincus de la continuité de la conscience, nous savons au moins qu’aucune évidence ne peut récuser la théorie de la vie après la mort (...) Nous savons d’expérience que la conscience ou l’esprit est sujet à changement, ce qui implique une dépendance de causes et de conditions qui le modifient, le transforment et l’influencent: ce sont les conditions et les circonstances de notre vie. La conscience doit avoir une cause substantielle, similaire à sa nature elle-même, afin d’advenir. Sans un moment antérieur de conscience, il ne saurait y avoir de conscience quelle qu’elle soit. Elle n’advient pas du néant, ni ne peut devenir rien. La matière ne saurait devenir conscience. En conséquence, nous devrions pouvoir remonter la séquence causale des moments de conscience dans le temps. Les Écritures bouddhistes parlent de centaines de milliards de système de mondes, d’un nombre infini de mondes, et d’une conscience existant depuis un temps sans commencement. Je crois qu’il existe d’autres mondes (...) Animal, spectre affamé ou être infernal constituent une renaissance dans des formes inférieures d’existence. D’après les textes, les enfers se trouvent à une certaine distance juste au-dessous de Bodh Gaya, en Inde, le lieu où le Bouddha a accédé à l’éveil. Néanmoins, si vous parcourez réellement cette distance, vous aboutirez quelque part au beau milieu de l’Amérique. Donc, ce n’est pas à prendre au pied de la lettre. Ces enseignements sont formulés en fonction des conventions de l’époque, ou des croyances populaires. Quand il est venu dans ce monde, le but du Bouddha n’était pas de mesurer sa circonférence, ni la distance de la Terre à la Lune - il est venu enseigner le dharma, libérer les êtres sensibles et alléger leurs souffrances. Sans comprendre l’approche fondamentale du bouddhisme, on pourrait imaginer que, parfois, le Bouddha a dit des choses contradictoires ou confuses. Pourtant, il y a un sens dans chacune de ses approches philosophiques, et chaque point de vue profite à différents types d’êtres sensibles. Quand il a parlé des enfers, il a dû prendre en compte certaines des croyances et des conventions populaires, dans le but exprès d’amener ses auditeurs à pratiquer le dharma. Je crois que divers états, comme les mondes infernaux froids ou chauds, existent. Si des états supérieurs comme le nirvâna ou l’omniscience existent, pourquoi leur contraire, l’état le plus extrême de la souffrance ou l’esprit le plus sauvage, n’existerait-il point ? (...) S’il existe différents degrés de réalisation spirituelle en fonction de la maîtrise de l’esprit, il doit également y en avoir dans l’indiscipline de l’esprit. Par-delà le monde animal, il y a des états comme celui de spectres affamés qui ne peuvent satisfaire leurs appétits. Les royaumes infernaux sont des domaines d’existence où les souffrances sont tellement intenses que les êtres n’y gardent plus guère un quelconque pouvoir de jugement ou d’intelligence. Les souffrances des enfers sont dues à une chaleur ou à un froid terribles. Prouver qu’ils existent est au-delà de notre logique ordinaire. Nous pouvons cependant conclure à leur existence, car nous savons que le Bouddha a démontré sa précision et son imparable logique sur beaucoup d’autres points cruciaux, telles l’impermanence et la causalité, vérifiables par la logique. En conséquence, on peut en déduire que sa position est tout aussi correcte à propos des niveaux divers de renaissance. La compassion et son désir d’enseigner ce qui est bénéfique aux êtres sensibles en vue de se libérer du cycle des renaissances sont les seules raisons pourquoi le Bouddha a expliqué les royaumes infernaux. Comme il n’avait aucune raison de raconter des mensonges, ces choses cachées doivent également être vraies. » [VOLI, pp. 85-86, 88-89, 90-91, 92-93.]
            Dans un monde, certains être peuvent occuper ce que l’on peut appeler un état central. Dans notre monde, l’homme occupe cet état central qui offre le privilège d’une communication plus directe avec le Principe suprême. Les traditions insistent sur ce privilège dont il faut savoir profiter puisqu’il est une aide pour celui qui s’engage sur la voie spirituelle. On comprend l’intervention du Dalaï-Lama:
« Une vie d’être humain libre et favorisé est très difficile à obtenir, car sa cause est difficile à créer. La plupart des humains s’emploient à des activités malheureuses, si bien que nombre d’entre nous renaîtrons dans des royaumes inférieurs (...) Il ne faut pas songer à remettre notre pratique du dharma à la prochaine vie. C’est une erreur, car il sera malaisé de renaître à l’avenir sous forme humaine. » [CELC, pp. 84 et 87]
            Une renaissance dans un nouvel état central est comme le souligne le Dalaï-Lama très incertaine, il convient donc de ne pas négliger ce privilège que le Ciel nous a octroyé.
            L’ouvrage Kindness, Clarity and Insight reproduit le texte de la conférence donné par le Dalaï-Lama à l’Université de Virginie. On peut y lire ce passage:
« Dans le Yoga Tantra supérieur, le processus de la mort est dépeint selon le système mantrique [relatif aux mantras]. La mort s’y trouve définie comme la cessation des vents (ou énergies) [prâna] grossiers, d’où l’intérêt de bien connaître la structure du corps, car la mort survient par suite de la défaillance des énergies internes dont le fonctionnement est lié au corps. Celui-ci est décrit essentiellement en termes de canaux [nâdî], airs internes [prânas] et gouttes [bindu] de fluide essentiel. Le système "sutrique" [relatif au sûtras] rend compte de quatre-vingt mille canaux, et le système mantrique [relatif aux mantras] en répertorie soixante-douze mille, dont les trois principaux sont le canal central [sushumnâ], qui va du front vers le sommet de la tête et descend ensuite jusqu’à la base de la colonne vertébrale. Les deux autres suivent le même circuit à sa droite [pingalâ] et à sa gauche [idâ]. On trouve des explications détaillées sur les nombreuses énergies motrices, mais dix sont de tout premier plan: les cinq vents principaux [prâna, apâna, samanâ, vyâna, udâna] et les cinq vents secondaires. Quant aux gouttes essentielles, ce sont les constituants rouges et blancs. Le lever de la claire lumière marque le dénouement du processus de la mort tel qu’il se produit généralement pour tout le monde. Cependant, les visions peuvent varier selon chacun, en fonction de la circulation des énergies et par rapport aux gouttes dans les canaux. De légères variantes sont également observables d’une personne à l’autre; elle sont le signe de différences minimes sur un plan physiologique. Au cours des étapes du processus, vingt-cinq facteurs sont appelés à se dissoudre. Ce sont vingt-cinq phénomènes grossier:
            - cinq agrégats: forme, sensation, discrimination, idéation et conscience;
            - quatre constituants: les éléments terre, eau, feu, air;
            - six sources sensorielles: les sens visuel, auditif, olfactif, gustatif, tactile et mental;
            - cinq objets (des sens): images visuelles, sons, odeurs, goûts et objet tangibles;
           - cinq sagesses ordinaires: l’intelligence fondamentale, semblable au miroir, l’intelligence de l’égalité, l’intelligence fondamentale de l’analyse, l’intelligence fondamentale de l’accomplissement des activités et l’intelligence fondamentale de la nature des phénomènes.
(...) Le processus commence avec la dissolution de l’agrégat des formes. En gros, l’agrégat des formes commençant à se désintégrer, le constituant terre s’affaiblit. En termes plus précis, il ne peut plus servir de support de connaissance. Au moment même où l’élément terre s’efface, l’élément eau devient un support de connaissance évident. Tel est le sens de l’expression "dissolution du constituant terre dans le constituant eau". A ce stade, comme symptômes externes, on constate que les membres se font plus grêles, les traits s’émacient, le teint devient terne. Le mourant a maintenant le sentiment que son corps s’enfonce sous terre. Sa vue se trouble. Intérieurement, d’après le Guhyasamâja Tantra, il a l’impression de voir un mirage. Le Kâlachakra Tantra , lui, décrit une fumée. Cette différence est due au fait que les initiateurs de ces divers Tantras n’étaient pas physiquement constitués tout à fait de la même façon. La structure des canaux, des énergies motrices (airs) et des gouttes de fluide essentiel peut légèrement varier. Ces variantes infimes se traduisent notamment dans l’attribution du nombre de canaux en pétale autour des centres vitaux du sommet de la tête et de la gorge. Mais, à cette exception près, l’un et l’autre décrivent six centres [chakras] de canaux dans des écrits très détaillés, et quatre autres sous une forme abrégée. Après quoi, c’est au tour de l’agrégat des sensations de se dissoudre. Dans ce deuxième stade, la force du constituant eau décline, privant de son terrain la conscience, et le feu (facteur de chaleur dans le corps), qu’elle met en évidence, devient prédominant. En ce qui concerne les signes extérieurs, on note une déshydratation générale du corps, la bouche en particulier devient sèche, les yeux sont moins humide, le regard perd de sa mobilité. Selon le Guhyasamâja Tantra, le signe intérieur est maintenant une vision de fumée. Pendant la troisième étape, l’agrégat de la discrimination se dissout. Comme il va s’affaiblissant, le feu prive la conscience de son apport et permet au constituant air de devenir prédominant. Extérieurement, la chaleur se retire et la perception du chaud diminue. Le mourant ne reconnaît plus ses proches. Intérieurement, il a une vision de lucioles, comparables à des bouquets d’étincelles. Avec le quatrième stade, l’agrégat des idéations se dissout. L’élément vent s’affaiblit, privant la conscience de son support. Le symptôme externe est l’arrêt du souffle, le signe intérieur est une impression de flamme rougeoyante. Les visions précédentes de lucioles, etc., sont devenues de plus en plus diaphanes, faisant place à cette lueur rouge. Le cœur a cessé de battre, la respiration s’est arrêtée. En général, à ce stade, un médecin déclare la personne cliniquement morte. Mais, selon nous, le processus n’est pas encore terminé; si vos perceptions sensorielles se sont éteintes, votre conscience mentale, elle, demeure - ce qui ne veut pas dire que vous puissiez revenir à vous. » [CEBH, pp. 197-199.]
            Nous avons là encore ajouté entre crochets les termes sanscrits correspondants. Cet enseignement est extrêmement complexe et la traduction nous apporte que peu d’explications. Comment le mental peut-il être ce que l’on nomme en occident un sens ? Il ne reste plus ici que quatre éléments et non cinq ! Il est bien certain que le texte tibétain originel n’apporte pas de telles ambiguïtés, même s’il doit présenter de réelles difficultés d’interprétation. Mais poursuivons.
            Dans l’ouvrage intitulé My Land and my People, le Dalaï-Lama précise dans l’appendice intitulé une esquisse du bouddhisme tibétain:
« La vraie souffrance, c’est le samsâra, le cycle complet de l’existence et de ses tourments. Il est constitué de tout ce qui ne contient pas sa propre cause, tout ce qui est issu d’une chaîne d’autres causes, étant ainsi compris dans le karma et l’illusion. Sa nature profonde est l’insatisfaction et sa fonction est de constituer une base pour la production de malheurs et de tramer des souffrances pour l’avenir. Si l’on en a une vision spatiale, le samsâra se divise en trois mondes: le monde des "désirs", celui des "formes" et celui des "non-formes". Dans le premier, les créatures jouissent des plaisirs sensuels externes. Le deuxième monde possède deux niveaux: dans l’inférieur, les êtres ne peuvent pas jouir de leurs sens, mais peuvent connaître le plaisir ininterrompu de la contemplation intérieure. Dans le monde des "non-formes", les cinq objets sensuels n’existent pas, pas plus que les cinq organes s’y rattachent; il ne demeure qu’un esprit serein, nu, vide de distraction. Le samsâra est également divisé selon la nature des créatures qui le constituent, ce qui correspond à six catégories:
            - Les "dieux" comprennent les êtres dans le monde des formes célestes et des esprits sans formes, plus les types de dieux du monde sensuel.
            - Les "demi-dieux" ou "titans", semblables aux dieux en tous points, si ce n’est qu’ils sont malicieux.
            - Les "êtres humains".
           - Les yi-dag ou pretas, des esprits vivants, sans cesse tourmentés par la faim et la soif.
            - Les "animaux".
            - Les "enfers": il y a différents niveaux d’enfers et dans chacun d’eux la nature des êtres vivants varie aussi selon leur karma passé. » [MPMP, p. 204.]
            Si la chaîne des mondes peut être appelée le Monde, chaque monde est ainsi à l’image du Monde. Si l’on cherche à connaître toutes les possibilités d’être de notre monde, on peut en effectuant certaine transpositions avoir une certaine idée des états posthumes, ceux que l’être pourra connaître dans les autres mondes. On peut ainsi dresser une certaine image du samsâra.
            Nous savons que le Monde, comme notre monde peut être symboliquement divisé en trois domaines: Ciel, Terre, Enfers. Si le Ciel peut figurer les états supra-humains et les Enfers les états infra-humains. La Terre figure l’état central: l’homme ainsi que tous les états périphériques comme ceux des animaux, ou de tous les êtres incorporels.
            On retrouve ainsi les six divisions symboliques établie par la tradition tibétaine. La hiérarchie céleste des devas et des asuras, l’état central ("homme") et les états périphériques ("animaux", pretas), la hiérarchie inversé des Enfers.
            Le lecteur serait peut-être bien avisé de relire La Divine Comédie de Dante.

Prendre refuge
            Lorsqu’une tradition est menacée de disparaître, ses aspects les plus secrets, proprement initiatiques, peuvent être alors extériorisés afin de maintenir malgré tout la transmission des influences spirituelles qui la caractérisent. Ceux qui deviennent ainsi les supports de ces influences peuvent ne plus être des maîtres effectifs mais de simples initiés virtuels qui, à leur tout, transmettent l’initiation à ceux qui dans le cadre du respect normal des hiérarchies initiatiques n’auraient pas été aptes à la recevoir. À l’image de l’âne portant des reliques, des individus peu qualifié deviennent ainsi dépositaires de ces influences spirituelles.
            On peut ainsi comprendre comment peut évoluer la tradition tibétaine et ne pas être surpris de la réponse du Dalaï-Lama:
Question: Votre Sainteté, si j’ai bien compris, par le passé les pratiques avancées du tantrisme étaient dispensées sous le contrôle et dans le cadre restreint d’une relation de maître à disciple. Aujourd’hui, on les dispense librement, y compris aux débutants. Pourquoi ce changement comporte-t-il des dangers ?
Dalaï-Lama: Certes. Mais si ce changement présente sans doute certains dangers, il a également une raison. C’est un choix. Il existe en effet déjà une littérature tantrique prolifique, dont la plupart des textes expliquent malheureusement mal les pratiques, ce qui est très préjudiciable car il s’ensuit une interprétation erronée du Tantra. Proposer des enseignements permettant un décryptage correct des Tantras peut contribuer à dissiper cette confusion. Bien que je ne prétende pas quant à moi avoir atteint un haut degré d’accomplissement dans la connaissance des Tantras, je peux me rendre compte de la confusion extrême qui règne dans ce domaine. La cause en est que les enseignements ont été transmis par certains maîtres qui manquaient de connaissance et par leurs disciples qui n’étaient pas vraiment qualifiés pour ce faire. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que des maîtres tantriques qualifiés donnent aujourd’hui des explications correctes des pratiques tantriques afin de contribuer à déjouer les pièges des mauvaises interprétations. [MBTI, pp. 211-212.]
            D’autre part, le Dalaï-Lama insiste sur la nécessité de la concentration, qui est une véritable clef:
« La concentration est l’une des meilleures méthodes de contrôle de l’esprit. En se fondant sur la concentration en un seul point, on peut se débarrasser des niveaux les plus frustes des émotions conflictuelles. La concentration n’est pas capitale en elle-même, mais elle joue un rôle essentiel sur la voie. Quelle que soit la méditation, concernant des qualités mondaines ou transcendantes, l’accomplissement dépend de la concentration unipointée. Quand on y parvient, on peut focaliser l’esprit sur n’importe quel objet. En combinant une vision spécifique de la vacuité à la pratique de pacification de l’esprit, on arrive à anéantir les émotions aliénantes. Pour y parvenir, il faut d’abord s’exercer à la concentration (...) En ce qui concerne l’objet de la méditation, en général n’importe lequel convient: une pierre, une fleur, une image du Bouddha... Si vous choisissez une fleur, regardez-la d’abord attentivement. Observez sa forme et sa couleur, ce qui générera son image dans votre esprit, puis essayez de méditer son image mentale. Il faut la visualiser à une distance équivalente à une grande prosternation, devant soi au niveau des sourcils. Il faut l’imaginer lumineuse, un peu lourde afin de contrebalancer l’excitation. La voir claire et radieuse contrecarre le relâchement mental. Telle est la manière de méditer décrite dans les sûtras. Si vous avez reçu une initiation et que vous pratiquez selon les Tantras, vous visualisez votre corps comme celui d’une divinité et le méditez. En abordant la pratique du Yoga Tantra supérieur, on ne se concentre pas simplement sur tout le corps, mais sur des points précis à l’intérieur. On visualise des canaux dans le corps, et on se focalise sur les énergies qui y circulent. Alternativement, on peut concentrer son attention sur une goutte particulière à l’intérieur des canaux. Une autre approche consiste à méditer simplement la nature de l’esprit, sa clarté et sa luminosité propres. D’abord, il faut arrêter de penser à toutes vos expériences passées, quoi que vous ayez fait. Il faut empêcher l’esprit de vagabonder à propos de projets et de plans d’avenir. Une fois stoppé l’avènement de pensées conceptuelles, l’esprit sera libre d’identifier sa propre nature lumineuse. L’esprit se focalisera alors sur l’esprit. Il y a l’esprit qui fait l’expérience, et l’esprit qui est expérimenté. C’est ainsi que l’on utilise l’esprit comme objet de méditation. » [BVMP, pp. 153 et 163-164.]
            Mais il faut un maître qualifié pour s’aventurer dans la pratique de la méditation.
            Dans l’ouvrage intitulé Awakening the Mind, lightening the Heart, Le Dalaï-Lama précise:
« Dans l’ensemble, les Tibétains tendent à avoir une foi aveugle en quiconque porte le titre de lama. D’autre part, ils prêtent peu attention à ceux qui ont accédé à de hautes réalisations par une pratique constante et en surmontant les difficultés, mais qui ne portent pas cette étiquette. C’est une mauvaise habitude. La personne que vous prenez pour maître spirituel doit être qualifiée. » [CELC, p. 68.]
« Qui n’a pas développé l’esprit éveillé ne saurait entrer dans les arcanes des pratiques secrètes du Tantra. L’accès aux enseignements tantriques est réservé à ceux qui ont reçu initiations et pouvoirs, et sans posséder l’esprit d’éveil, vous ne pouvez recevoir l’initiation tantrique. Il est indiqué très clairement que l’entrée dans le véhicule secret dépend aussi de ce que l’on possède ou non l’esprit d’éveil. » [CELC, pp. 111-112.]
            Les instructions du Dalaï-Lama sont claires: la qualification est une donnée primordiale, une nécessité. Rares sont les êtres qualifiés.
            Différents ouvrages ont paru, comme The Union of Bliss and Emptiness [YOSA] ou Path to Bliss, A Practical Guide to Stages of Meditation, pour offrir sous la signature du Dalaï-Lama ce qui ne peut être qu’un enseignement théorique.
            Le chapitre sur l’origine du Lamrin permet de le deviner:
« Il existe deux principales traditions du Lamrin, toutes deux issues du Bouddha Shâkyamuni: la lignée de la Vue profonde, transmise par Manjushrî, et la lignée de la Vaste Pratique, provenant de Maitreya. Ces deux lignées sont le résultat du double aspect des sûtras de la Sagesse enseignés par le Bouddha lui-même: la doctrine de la vacuité (le contenu explicite) et les étapes de la claire réalisation (le sens caché). Manjushrî a expliqué le premier et Maitreya le second. Atîsha réunit les deux lignées et de cette synthèse naquirent les trois branches de la tradition Kadam. Pendant son séjour au Tibet, Atîsha composa le Jhangchup Lamgyi Dronme (La Lampe sur la Voie de l’Illumination) qui devait servir de base à bon nombre de traités sur le Lamrim apparus par la suite dans ce pays. Héritier des trois lignées Kadam, le grand lama Tsongkhapa composa le Lamrim Chenmo (Grand Exposé des étapes sur la Voie de l’Illumination) ainsi qu’une version abrégée qui omet de nombreux détails mais accorde une attention spéciale aux Deux Vérités (aspect duel des phénomènes; leur niveau d’apparence est appelé vérité conventionnelle et leur réalité absolue vérité ultime) dans la partie consacrée à la Vue profonde. Il écrivit également un très court texte versifié, le Lamrim Nyamgur (Chants de l’expérience spirituelle). Le troisième Dalaï-Lama, Sonam Gyatso, composa le Lamrim Sershunma (Essence de l’or raffiné) – en réalité un commentaire de la version brève du Lamrim de Tsongkhapa. Le cinquième Dalaï-Lama élabora un commentaire du texte de Sonam Gyatso intitulé Jampel Shalung (Les paroles sacrées de Manjushrî), puis le Panchen-Lama Chökyi Gyaltsen écrivit le texte que nous allons étudier, la Voie de la Félicité. Le Panchen Palden Yeshi composa ensuite La Voie rapide et enfin Dagpo Ngawang Jamphel écrivit un Lamrim sous forme de poème. Ces huit ouvrages constituent les huit grands commentaires des étapes de la voie. La Voie de la Félicité comprend tous les points essentiels des sûtras et Tantras, et a l’avantage de présenter les visualisations d’une manière qui incite à la méditation systématique. J’en connais beaucoup qui ont appris ce texte entier par cœur et ont entrepris leur pratique sur cette base, organisant toute la structure de la voie autour de lui. Ce Lamrim m’a été transmis par feu Kyabje Trijang Rinpoché. Comme le commentaire que j’en donne ici est empirique, je dois, selon la tradition, le répéter quatre fois, trois aujourd’hui et une demain. Étant donné le mode d’enseignement et d’étude d’un tel texte, l’enseignant doit être animé d’une motivation pure et de l’intention altruiste d’être réellement bénéfique à ses disciples; de leur côté, ceux-ci doivent appliquer l’enseignement reçu à leur propre esprit, avoir l’intention altruiste d’être utiles à tous les êtres sensibles et dédier au bien des autres tous les mérites de cet enseignement. En tant que disciples, vous aurez à effectuer les visualisations appropriées, précédées de pratiques préliminaires. » [VFCM, pp. 21-23.]
            Pour être disciple, encore faut-il avoir trouvé un maître authentique, "un maître spirituel qualifié".

Conclusion
            On ne peut s’empêcher d’être séduit par les qualités humaines du Dalaï-Lama, mais ceci ne devrait pas nous faire oublier la fonction éminente qu’il magnifie. Le Dalaï-Lama n’est pas un simple individu mais la manifestation d’un Principe. Tout ce qui émane de cette individualité n’a pas plus d’autorité que l’opinion de tout autre individu, mais ce qui s’exprime au travers de la fonction est, comme la pure doctrine qu’elle énonce, infaillible.
            On ne peut s’empêcher d’être sensible au réconfort moral qui transparaît dans les propos du Dalaï-Lama, dans ses écrits, mais là n’est pas le fondement de son enseignement. Ainsi dans son ouvrage intitulé Ethics for the New Millennium qui porte sur la morale ou ce qui revient au même sur l’éthique, le Dalaï-Lama ne manque pas de nous faire comprendre implicitement que l’Infini est l’Infini et qu’il faut se défier de le concevoir comme le résultat d’éléments distincts:
« Dans notre vie quotidienne, nous nous livrons à des activités multiples et recevons de l’extérieur une foule de données sensorielles. Le problème du malentendu, dont le degré de gravité est évidemment variable, survient d’ordinaire à cause de notre tendance à isoler certains aspects d’un événement ou d’une expérience et à les percevoir comme s’ils constituaient sa totalité. Il en résulte une perspective tronquée et, partant, de fausses attentes. Mais quand nous considérons la réalité telle qu’elle est, nous prenons vite conscience de sa complexité infinie. » [SAMM, p. 52.]
            Nous avons dénombré ici un certain nombre de clefs pour accéder à l’enseignement du Dalaï-Lama. Mais il convient avant tout de ne pas limiter cet enseignement à la forme qu’il peut prendre dans le langage occidental. Ainsi faut-il bien souvent savoir lire entre les lignes.

Ouvrages cités

BVMP
            The Joy of Living and Dying in Peace, Library of Tibet Inc., 1997. Traduit de l’anglais par Claude B. Levenson sous le titre Du bonheur de vivre et de mourir en paix, éditions Calmann-Lévy, 1998. Nouvelle édition Points Sagesse, 1999.
CEBH
            Kindness, Clarity and Insight, Snow Lion Publications, Ithaca, New-York, 1989. Traduit de l’anglais et présenté par Lise Médini sous le titre Cent éléphants sur un brin d’herbe - Enseignements de sagesse. Éditions du Seuil, 1990. Nouvelle édition Points Sagesse, 1997.
CELC
            Awakening the Mind, lightening the Heart, Harper, San Francisco, 1995. Traduit de l’anglais par Claude B. Levenson sous le titre Clarté de l’esprit, lumière du cœur, éditions Calmann-Lévy, 1995.
DRMO
            Sleeping, Dreaming, and Dying – A Exploration of Consciousness with the Dalai Lama, by Francisco J. Varela, Wisdom Publications, Boston, 1997. Traduit de l’anglais par Claude B. Levenson sous le titre Dormir, Rêver, Mourir – explorer la conscience avec le Dalaï-Lama, sous la direction de Francisco J. Varela, éditions NiL, 1998.
ENTR
            An Interview with the Dalai Lama, by John F. Avedon, Littlebird Publications, New York, 1980. Traduit de l’anglais par Véronica Paulence, Michel Zaregradsky et Georges Driessens sous le titre Entretien avec le Dalaï-Lama, éditions Dharma, Peymeinade, 1982.
LLME
            Freedom in Exile, Hodder and Stoughton, 1990. Traduit de l’anglais par Éric Diacon sous le titre Au loin la liberté - Mémoires, éditions Fayard, 1990.
MBTI
            The World of Tibetan Buddhism, (traduit du tibétain en anglais par Geshe Thupten Jinpa), Wisdom Publications, Boston, 1995. Traduit de l’anglais par Laurence E. Fritsch sous le titre Le monde du bouddhisme tibétain - Sa philosophie et sa pratique, éditions La Table Ronde, 1996.
MPMP
            My Land and my People, McGraw-Hill Book Company Inc., New York, 1962. Traduit de l’anglais par Alain Rodari sous le titre Mon pays et mon peuple - Mémoires, éditions Olizane, 1984.
OCSA
            Ocean of Wisdom: guideliness for living, Clear Light Publications, Santa Fe, 1989. Traduit de l’anglais par Jackie Landreaux-Valabrègue sous le titre Océan de sagesse, éditions Presses Pocket, 1990.
PASS
            Gentle Bridges - Conversations with the Dalai-Lama on the Sciences of Mind, edited by Jeremy W. Hayward and Francisco J. Varela, Shambhala Publications Inc., Boston, Massachussets, 1992. Traduit de l’anglais par Claude B. Levenson sous le titre Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit, éditions Albin Michel, 1995.
PBEJ
            The Good Heart: a Buddhist perspective on the teachings of Jesus, Wisdom Publications, Boston, 1995. Traduit de l’anglais par Dominique Lablanche sous le titre Le Dalaï-Lama parle de Jésus Une perspective bouddhiste sur les enseignements de Jésus, éditions Brepols, 1996.
SAMM
            Ethics for the New Millennium, Riverhead Books, New York, 1999. Traduit de l’anglais par Éric Diacon sous le titre Sagesse ancienne, monde moderne, Éthique pour le nouveau millénaire, éditions Fayard, 1999.
SVRL
           The Meaning of Life from a Buddhist Perspective, translated and edited by Jeffrey Hopkins, Wisdom Publications, Boston, 1992. Traduit de l’anglais par Michel Cool et Pierre Lafforgue sous le titre Le Sens de la Vie - Réincarnation et Liberté, éditions Dangles, 1996.
VFCM
            Path to Bliss, A Practical Guide to Stages of Meditation, Snow Lion Publications, New York, 1991. Traduit de l’anglais sous le titre La Voie de la félicité, conseils de méditation pour vivre le bouddhisme. Éditions Ramsay, 1997. Nouvelle édition, éditions Presses Pocket, 1999.
VOLI
          The Way to Freedom, Harper, San Francisco, 1994. Traduit de l’anglais par Claude B. Levenson sous le titre La Voie de la liberté, éditions Calmann-Lévy, 1995.
YOSA
            The Union of Bliss and Emptiness, Snow Loin Publications, New York, 1988. Traduit de l’anglais par Danièle et Audouin Soualle sous le titre Le Yoga de la Sagesse, éditions Presses du Châtelet, 1999.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.