Le rituel d’initiation des ouvriers
imprimeurs
Nous
devons citer ce passage très singulier de l’œuvre de René Guénon concernant les
imprimeurs et notamment cette note du
chapitre XXIX des Aperçus sur l’initiation :
« c’est
d’une façon analogue que, plus tard, les imprimeurs (dont le rituel était
constitué, dans sa partie principale, par la « légende » de Faust)
« acceptèrent » tous ceux qui avaient quelque rapport avec l’art du
livre, c’est-à-dire non seulement les libraires, mais aussi les auteurs
eux-mêmes. »
René
Guénon avait à une autre occasion dans la revue Regnabit, (l’article intitulé Le
Chrisme et le Cœur dans les anciennes marques corporatives) précisé
également dans une note :
« À ce
propos, signalons en passant un fait curieux et assez peu connu : la
légende de Faust, qui date à peu près de la même époque, constituait le rituel
d’initiation des ouvriers imprimeurs. »
On
aura noté l’emploi des termes « ouvriers » imprimeurs et non de ceux
de « maîtres » imprimeurs ou de « compagnons » imprimeurs.
Sur cette question particulière et plutôt difficile
on pouvait espérer vraiment mieux que cette note bâclée rédigée par M. Laurent
Guyot pour son article intitulé René Guénon et la Maçonnerie opérative,
3ème partie, dans le numéro 4 de la revue Cahiers de l’Unité.
Il
s’agit de la note 17 qui débute ainsi:
« René Guénon et les destins de la
Franc-Maconnerie, ch. XI,
Paris, 1982. Il a déjà été rappelé dans cette revue que Denys Roman précisa que
« Guénon a pu être initié Compagnon imprimeur dès qu’il eut rédigé des
textes destinés à l’impression » (« Pour le service de la
Vérité », Aurores, avril, 1983 cité dans la
« Postface » à « Avons-nous une culture
internationale ? », n. 14). Ce sont ses qualités de directeur de la
revue La Gnose et de publiciste qui ont permis à Guénon de
recevoir à ce moment-là un rattachement compagnonnique et devenir ainsi
Compagnon imprimeur. »
A
notre habitude et par respect pour la personne de René Guénon nous ne
commenterons pas ces informations incertaines qui dans tous les cas relèvent de
sa vie privée et qui par conséquent ne nous concernent à aucun titre.
La
note se poursuit ainsi :
« En effet, les métiers appartenant au
Compagnonnage ont la faculté d’affilier d’autres métiers qui ont avec eux des
affinités spéciales et de conférer une initiation qu’ils ne possédaient pas.
Sans doute en rapport notamment avec le tracé géométrique des caractères
d’imprimerie par la règle et le compas, les imprimeurs auraient reçu le Devoir
peu après leur apparition à Mayence. C’est ce qui explique la présence
fréquente du « quatre de chiffre », la marque des Maîtres, dans
l’emblème des imprimeurs (cf. Antoine Sabatier, « Les signatures ouvrières
au 4 de chiffre », Bulletin
archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier, mars 1908). À Lyon, devenu capitale de
l’imprimerie européenne vers 1550, chaque année, avait lieu une procession des
Compagnons imprimeurs en l’honneur de « MINERVE la Mere d’Imprimerie et déesse de scavoir, montée sur les
branquars d’une lytière richement aornée desdictes couleurs, assize dans une
chaire richement parée, bien revêtue desdictes couleurs iaune, rouge et
verd. » (Ordre tenu en chevauchée faite en la ville de Lyon, 1574 ; Sur Minerve, voir Mariano
Bizzarri, « La Minerve maçonnique », La Règle d'Abraham, n° 11, 2001) »
Pourquoi ne pas
simplement signaler que les premiers imprimeurs appartenaient à la corporation
des orfèvres. La filiation s’en trouve éclairée.
Pour ne pas tomber dans
le systématisme que semble affectionné M. Guyot, on ne doit pas oublier cette
précision donnée par René Guénon dans son article publié dans Regnabit et intitulé À propos des signes corporatifs et de leur
sens originel :
« Les
emblèmes plus spécialement « constructifs » eux-mêmes, comme
l’équerre et le compas, ont été, en fait, communs à un grand nombre de
corporations, nous pourrions même dire à presque toutes […] »
Et René Guénon indique
en note : « Le Compagnonnage interdisait seulement aux
cordonniers et aux boulangers de porter le compas. »
La note 17 se poursuit
et M. Laurent Guyot fait cette déclaration ahurissante (soulignée par nous) :
« Il semble que ce Compagnonnage s’éteignit avant de renaître au XIXe
siècle. Selon M. Laurent Bastard : à partir de 1514 et jusque dans les
années 1580, les compagnons imprimeurs lyonnais et genevois voyagent,
« pratiquent une cérémonie de réception et usent d’attouchements et de
signes de reconnaissance. Ce sont les plus anciens rites connus. » (Cf.
Laurent Bastard, « Le compagnonnage des imprimeurs », Fragments d’histoire du Compagnonnage,
vol. 9, 2007) »
Comment peut-on écrire
des absurdités pareilles dans une revue qui a d’autre part des prétentions
considérables puisque bien évidemment les auteurs qui y participent sont «capables de comprendre les principes
métaphysiques et d’en tirer les conséquences. »
M. Guyot n’a donc pas
fait ce simple constat que pendant des siècles des milliards d’ouvrages ont été
imprimés par des « ouvriers imprimeurs ». Ces ouvriers étaient bien
évidemment membres d’une corporation…
Et que dire de la suite
de cette note (soulignée par nous):
« La mention par Guénon du rituel d’initiation
des ouvriers imprimeurs dans une note de son article sur « Le Chrisme et le
cœur dans les anciennes marques corporatives » (Regnabit, novembre, 1925) confirmerait son
rattachement, car on ne trouve, à notre connaissance, aucune trace d’un tel
rituel dans le domaine public. Cette note précise que le rituel des Compagnons-imprimeurs était basé sur la
légende de Faust, légende qu’il qualifie d’initiatique dans une lettre.
Johannes Faust, connu en France seulement
par la tragédie de Gœthe (1808), est en réalité un nom symbolique sous lequel
ont été groupés divers docteurs médiévaux. La référence à sa légende chez les
Compagnons imprimeurs s’expliquerait par le fait que l’associé de Johannes
Gensfleisch (dit Gutenberg) à Mayence, dans la mise au point en Occident de
l’imprimerie, ou plutôt de la typographie (par l’emploi de caractères
métalliques moulés et mobiles, ars
scribendi artificialiter),
s’appelait Johannes Füst, ou Faust. Ce nom revêtait une dimension à la fois
réelle et symbolique en coïncidant avec celui du personnage qui représentait la
lutte des vertus et des vices dans les légendes de la fin du Moyen âge en
Allemagne. (Cf. P. Ristelhuber, Faust
dans l'histoire et dans la légende, Strasbourg,
1863 ; Geneviève Blanquis, Faust
à travers quatre siècles, Genève,
1935 ; Joël Lefebvre, L’Histoire du Docteur Faust, Paris, 1970 ;
Pierre-Victor Palma-Cayet, L’Histoire
prodigieuse du Docteur Fauste, trad.
Fr. 1598, rééd. avec introduction et notes par Yves Cazaux, Genève, 1982)
René
Guénon ne parle pas de compagnons-imprimeurs mais bien d’ouvriers. Il n’y a
d’autre part rien d’anormal ni d’exceptionnel à ne pas trouver ce rituel dans
le « domaine public », sachant que les organisations initiatiques ont
pour habitude de détruire leurs archives. Signalons également que si René
Guénon a eu connaissance de ce rituel, tous les « ouvriers
imprimeurs » le connaissaient aussi. Ce qui est plus que probable c’est
que ces derniers en majorité n’y ont pas
reconnu toute sa valeur symbolique ni peut-être son lien avec une légende
particulière.
La
légende de Faust n’est pas simplement connue en France par la tragédie de
Goethe. M. Guyot se contredit d’ailleurs lui-même puisqu’il donne les
références de la traduction française du XVIème siècle de cette légende.
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