jeudi 1 novembre 2018

Le rituel d’initiation des ouvriers imprimeurs

Le rituel d’initiation des ouvriers imprimeurs

Nous devons citer ce passage très singulier de l’œuvre de René Guénon concernant les imprimeurs et notamment cette  note du chapitre XXIX des Aperçus sur l’initiation :
« c’est d’une façon analogue que, plus tard, les imprimeurs (dont le rituel était constitué, dans sa partie principale, par la « légende » de Faust) « acceptèrent » tous ceux qui avaient quelque rapport avec l’art du livre, c’est-à-dire non seulement les libraires, mais aussi les auteurs eux-mêmes. »
René Guénon avait à une autre occasion dans la revue Regnabit, (l’article intitulé Le Chrisme et le Cœur dans les anciennes marques corporatives) précisé également dans une note :
« À ce propos, signalons en passant un fait curieux et assez peu connu : la légende de Faust, qui date à peu près de la même époque, constituait le rituel d’initiation des ouvriers imprimeurs. »
On aura noté l’emploi des termes « ouvriers » imprimeurs et non de ceux de « maîtres » imprimeurs ou de « compagnons » imprimeurs.
Sur cette question particulière et plutôt difficile on pouvait espérer vraiment mieux que cette note bâclée rédigée par M. Laurent Guyot  pour son article intitulé René Guénon et la Maçonnerie opérative, 3ème partie, dans le numéro 4 de la revue Cahiers de l’Unité.
Il s’agit de la note 17 qui débute ainsi:
« René Guénon et les destins de la Franc-Maconnerie, ch. XI, Paris, 1982. Il a déjà été rappelé dans cette revue que Denys Roman précisa que « Guénon a pu être initié Compagnon imprimeur dès qu’il eut rédigé des textes destinés à l’impression » (« Pour le service de la Vérité », Aurores, avril, 1983 cité dans la « Postface » à « Avons-nous une culture internationale ? », n. 14). Ce sont ses qualités de directeur de la revue La Gnose et de publiciste qui ont permis à Guénon de recevoir à ce moment-là un rattachement compagnonnique et devenir ainsi Compagnon imprimeur. »
A notre habitude et par respect pour la personne de René Guénon nous ne commenterons pas ces informations incertaines qui dans tous les cas relèvent de sa vie privée et qui par conséquent ne nous concernent à aucun titre.
La note se poursuit ainsi :
« En effet, les métiers appartenant au Compagnonnage ont la faculté d’affilier d’autres métiers qui ont avec eux des affinités spéciales et de conférer une initiation qu’ils ne possédaient pas. Sans doute en rapport notamment avec le tracé géométrique des caractères d’imprimerie par la règle et le compas, les imprimeurs auraient reçu le Devoir peu après leur apparition à Mayence. C’est ce qui explique la présence fréquente du « quatre de chiffre », la marque des Maîtres, dans l’emblème des imprimeurs (cf. Antoine Sabatier, « Les signatures ouvrières au 4 de chiffre », Bulletin archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier, mars 1908). À Lyon, devenu capitale de l’imprimerie européenne vers 1550, chaque année, avait lieu une procession des Compagnons imprimeurs en l’honneur de « MINERVE la Mere d’Imprimerie et déesse de scavoir, montée sur les branquars d’une lytière richement aornée desdictes couleurs, assize dans une chaire richement parée, bien revêtue desdictes couleurs iaune, rouge et verd. » (Ordre tenu en chevauchée faite en la ville de Lyon, 1574 ; Sur Minerve, voir Mariano Bizzarri, « La Minerve maçonnique », La Règle d'Abrahamn° 11, 2001) »
Pourquoi ne pas simplement signaler que les premiers imprimeurs appartenaient à la corporation des orfèvres. La filiation s’en trouve éclairée.
Pour ne pas tomber dans le systématisme que semble affectionné M. Guyot, on ne doit pas oublier cette précision donnée par René Guénon dans son article publié dans Regnabit et intitulé À propos des signes corporatifs et de leur sens originel :
« Les emblèmes plus spécialement « constructifs » eux-mêmes, comme l’équerre et le compas, ont été, en fait, communs à un grand nombre de corporations, nous pourrions même dire à presque toutes […] »
Et René Guénon indique en note : « Le Compagnonnage interdisait seulement aux cordonniers et aux boulangers de porter le compas. »
La note 17 se poursuit et M. Laurent Guyot fait cette déclaration ahurissante (soulignée par nous) :
« Il semble que ce Compagnonnage s’éteignit avant de renaître au XIXe siècle. Selon M. Laurent Bastard : à partir de 1514 et jusque dans les années 1580, les compagnons imprimeurs lyonnais et genevois voyagent, « pratiquent une cérémonie de réception et usent d’attouchements et de signes de reconnaissance. Ce sont les plus anciens rites connus. » (Cf. Laurent Bastard, « Le compagnonnage des imprimeurs », Fragments d’histoire du Compagnonnage, vol. 9, 2007) »
Comment peut-on écrire des absurdités pareilles dans une revue qui a d’autre part des prétentions considérables puisque bien évidemment les auteurs qui y participent sont «capables de comprendre les principes métaphysiques et d’en tirer les conséquences. »
M. Guyot n’a donc pas fait ce simple constat que pendant des siècles des milliards d’ouvrages ont été imprimés par des « ouvriers imprimeurs ». Ces ouvriers étaient bien évidemment membres d’une corporation…
Et que dire de la suite de cette note (soulignée par nous):
« La mention par Guénon du rituel d’initiation des ouvriers imprimeurs dans une note de son article sur « Le Chrisme et le cœur dans les anciennes marques corporatives » (Regnabit, novembre, 1925) confirmerait son rattachement, car on ne trouve, à notre connaissance, aucune trace d’un tel rituel dans le domaine public. Cette note précise que le rituel des Compagnons-imprimeurs était basé sur la légende de Faust, légende qu’il qualifie d’initiatique dans une lettre. Johannes Faust, connu en France seulement par la tragédie de Gœthe (1808), est en réalité un nom symbolique sous lequel ont été groupés divers docteurs médiévaux. La référence à sa légende chez les Compagnons imprimeurs s’expliquerait par le fait que l’associé de Johannes Gensfleisch (dit Gutenberg) à Mayence, dans la mise au point en Occident de l’imprimerie, ou plutôt de la typographie (par l’emploi de caractères métalliques moulés et mobiles, ars scribendi artificialiter), s’appelait Johannes Füst, ou Faust. Ce nom revêtait une dimension à la fois réelle et symbolique en coïncidant avec celui du personnage qui représentait la lutte des vertus et des vices dans les légendes de la fin du Moyen âge en Allemagne. (Cf. P. Ristelhuber, Faust dans l'histoire et dans la légende, Strasbourg, 1863 ; Geneviève Blanquis, Faust à travers quatre siècles, Genève, 1935 ; Joël Lefebvre, L’Histoire du Docteur Faust, Paris, 1970 ; Pierre-Victor Palma-Cayet, L’Histoire prodigieuse du Docteur Fauste, trad. Fr. 1598, rééd. avec introduction et notes par Yves Cazaux, Genève, 1982)
René Guénon ne parle pas de compagnons-imprimeurs mais bien d’ouvriers. Il n’y a d’autre part rien d’anormal ni d’exceptionnel à ne pas trouver ce rituel dans le « domaine public », sachant que les organisations initiatiques ont pour habitude de détruire leurs archives. Signalons également que si René Guénon a eu connaissance de ce rituel, tous les « ouvriers imprimeurs » le connaissaient aussi. Ce qui est plus que probable c’est que ces derniers en majorité n’y ont  pas reconnu toute sa valeur symbolique ni peut-être son lien avec une légende particulière.
La légende de Faust n’est pas simplement connue en France par la tragédie de Goethe. M. Guyot se contredit d’ailleurs lui-même puisqu’il donne les références de la traduction française du XVIème siècle de cette légende.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.